Je m’appelle Stéphane, j’ai 40 ans et mon épouse Stéphanie a 35 ans.

Le 4 octobre 2012 notre second fils, Côme, né. Suit le congé maternité de Stéphanie. Durant sa grossesse son obstétricien, qui lui avait été conseillé, parce que c’était une des pointures en la matière (en tout cas au niveau de ses honoraires il était très pointu !) avait détecté une masse sur le sein gauche mais lui avait dit que chez les femmes enceintes il y avait toujours quelque chose de « bizarre » (ce ne sont pas ses propres mots mais il était resté très flou).

Mars 2013 Stéphanie reprend son travail de Chargée de Recherche. Quelques temps plus tard elle sent une masse douloureuse dans son sein. Un mois plus tard le verdict est clair c’est un cancer du sein non inflammatoire, la chimiothérapie doit commencer dès que possible.

A peine avait-elle repris le travail qu’elle se retrouve donc en arrêt maladie avec nos 2 enfants dont le deuxième d’à peine 5 mois.

Forcément c’est le choc. Je ne l’apprendrais à personne qui a vécu ça, ni à tous ceux qui un jour ou l’autre s’attendent à ce qu’on leur annonce pareille nouvelle. Mais on ne se rend pas compte. Parce que la maladie n’est pas visible, la douleur pas si forte, que Stéphanie était la même la veille du résultat que le lendemain. Bref il va falloir se faire à l’idée, se prendre plein d’images dans la tête qui sont souvent erronées ou issues d’idées anciennes et/ou préconçues. Bref il va falloir faire le tri, s’organiser, l’annoncer aux autres, le vivre… D’autant que la situation n’est pas simple dans notre cellule familiale car je recherche du travail depuis le début de 2012 et en pleine reconversion professionnelle j’avais trouvé un emploi à temps partiel dans la presse régionale en tant que photographe. Ce qui implique bien sûr des horaires de bureaux très réguliers et des week-ends assurés à tous les coups 😉 Comment allons-nous faire lorsque je partirai le matin à 9h de la maison, que je n’aurais pas le temps d’amener notre aîné à l’école parce que bien sûr je n’ai pas trouvé un job à 2km de chez moi mais plutôt à 30… et que je rentrerai le soir vers 19, 20, 21….22h… ? Et puis comment allons-nous le dire aux enfants ? Le petit encore c’est facile, même s’il sent bien les tensions et angoisses, mais le grand ? Pour couronner le tout de mon côté au fur et à mesure je m’enfonce dans une dépression dont j’ai le secret depuis des années et qui revient à la charge depuis quelques mois et résiste, résiste à tous les médicaments, les psychothérapies, les anti-dépresseurs…

Donc la 1ère heure c’est la panique ! Mais heureusement Stéphanie est suivie par un ponte (un vrai là) en oncologie et c’est donc un drôle de petit génie féérique qui nous apparait. J’avais décidé le premier jour d’assister à la consultation avec Stéphanie pour être sûr que nous aurions bien compris toutes les informations. Elle de part son travail de scientifique était à même de comprendre le moindre mot abscons, moi sans mot dire je prenais des notes pour ne rien oublier et je faisais le compte de toutes les questions que nous nous étions posées les jours précédents pour être sûr de n’en oublier aucune. Non seulement il a répondu très clairement à tout, mais en plus il nous a dès le départ apporté un bol d’air positif alors que dans la salle d’attente nous devions plutôt avoir des figures d’enterrement. A la sortie, Stéphanie me dit que quand même il y a plein de choses mauvaises dans ce qu’il a dit et qu’on a oublié ça ou ça. Je l’arrête net, je reprends mes notes, nous confrontons nos points de vue et effectivement le bilan de la consultation était plutôt positif avec un cancer, en gros, « bénin ». J’avais presque l’impression qu’elle avait attrapé une mauvaise grippe. Les 6 séances de chimio ? fastoche ! Les effets secondaires ? bah bah bah ! La vie de tous les jours ? comme tous les jours !! Presque la belle vie quoi…

J’avais décidé d’assister à toutes les consultations et séances de chimio où Stéphanie devait aller, sauf cas d’urgence ou empêchement de dernière minute. Nous avions notre calendrier C1 (séance de chimio n°1) en ambulatoire, trois semaines de délais, C2, idem, C3, idem, changement de produit thérapeutique, C4, 3 semaines, C5, 3 semaines, C6. Fin de chimio. Bilan. 3 à 4 semaines plus tard opération chirurgicale (dont nous ne savions encore rien ni les médecins encore car c’était trop tôt), puis 1 mois d’attente et enfin 4 à 6 semaines de radiothérapie quotidienne. On met ça sur un calendrier dans le smartphone, hop visualisation, perfect ça a l’air simple, pas si long que ça et le personnel soignant est ultra confiant. Pourquoi s’inquiéter ?!

Le soir même on ouvre d’ailleurs une bouteille de champagne pour « fêter » ça dans un sens comme dans l’autre. En espérant que ce soit juste un début et qu’on ouvre une autre bouteille rapidement à la fin. En se disant aussi que puisque il y a du négatif autant lui apporter du positif. Bref on fait ça comme on peut en famille, famille qui se trouve pour partie près de chez nous (ses parents) et pour partie dans le sud-ouest (les miens).

C1, voilà c’est parti, on est dans la salle d’attente ne sachant pas trop d’ailleurs à quoi s’attendre. Mon téléphone sonne, il est midi, mon Directeur Photo m’appelle. Je laisse sonner ça pourra attendre un peu. Stéphanie part en consultation, prise de poids, de sang, de je ne sais trop quoi. L’ambiance est feutrée, on croise des gens dont on ne sait s’ils sont malades ou pas, accompagnants ou pas. D’ailleurs quand on est accompagnant parfois le personnel tient compte de notre présence mais souvent il faut juste suivre le mouvement en espérant ne pas faire de bêtise, d’erreur parce qu’on ne vous explique pas, on ne vous dit pas si vous pouvez venir ou pas, si vous allez être dans la même salle que votre épouse ou pas, si vous allez juste attendre… dans la salle d’attente. Au fur et à mesure on prend ses marques mais au début c’est commme le premier jour d’école, de fac, de boulot, on marche sur des oeufs… Re-téléphone, je relaisse vibrer je suis en plein milieu des salles de soin je ne vais pas répondre alors que j’avais informé que c’était un jour particulier et que je ne serai pas très disponible, mais bon le directeur photo d’un quotidien régional quand il appelle en général on répond dans la minute qui suit parce que c’est qu’il y a une actu chaude à couvrir et qu’il n’a pas d’autre personne sous la main que vous. Je profite du moment où les infirimières et aides-soignantes posent les tubes dans le D.V.I. et qu’il faut une atmosphère particulièrement stérile pour m’éclipser écouter mes messages. Je rappelle mon chef qui me dit d’un ton sec que j’aurais du être disponible et qu’il peut y avoir urgence n’importe quand mais que bon il s’est débrouillé, que ça ne se reproduise pas. Je me confonds en excuses, lui dit que ça ne se renouvellera pas, lui rappelle que c’était le premier jour de chimio et que je l’avais averti et lui demande quand même quelle était cette photo épooooustouflante à faire que j’ai raté : Un panneau de maison à vendre… Je ne savais pas s’il fallait en rire ou en pleurer, j’ai raccroché, j’étais dans une rage folle ! Bref. Je repars dans le centre de soin retrouver Stéphanie qui a donc les premières gouttes de son traitement qui coulent dans ses veines. C’est étrange de la voir là allongée sur le lit avec toutes ses perfusions. Parce que bien sûr c’est pas juste 10ml de liquide et on s’en va. Non là ça dure des heures. Il y a des pré-traitements, des lavages des pré-traitements, le traitement, le lavage du post-traitement, éventuellement des arrêts : perfusion qui ne coule plus, réaction au produit de la part du patient donc arrêt et attente, prise éventuelle d’antihistaminique toujours par le D.V.I. pour que ce soit plus rapide et efficace mais là aussi rinçage après… Bref on entre à 9h30 du matin et à 16h on ressort. Chers compagnons prévoyez à manger, à boire, de l’argent sur vous, de la lecture, votre smartphone ou tablette parce que il faudra vous débrouiller tout seul et votre compagne risque de dormir 90% du temps ou alors vous serez gentiment ramené en salle d’attente ou dans le couloir parce que votre présence n’est pas désirée (stérilisation, intimité que sais-je…). Ensuite c’est le retour à la maison. La fatigue. Pour elle qui vient de s’encaisser un produit pas très léger (je crois que 2mn après être partis de l’hôpital elle dormait je ne sais même pas si j’étais sorti du parking…). Pour vous qui avez passé une journée stressante à ne rien faire et à se sentir inutile. Les enfants à qui il faut expliquer ce qu’on a fait, pourquoi maman va aller se coucher tôt mais quand même aussi une excellente idée qu’avait eu Stéphanie : dessiner un cercle divisé en 6 couleurs représentant « la méchante maladie » et en découper un bout à chaque retour de chimio pour que l’aîné comprenne qu’au fur et à mesure sa maman guérissait.

Ensuite Stéphanie avait été informée des effets secondaires, de la fatigue : « C’est simple la première semaine vous êtes bien fatiguée, la deuxième ça va déjà mieux vous vous remettez à vous activer et la 3ème est une semaine quasi normale. Ensuite on reprend une séance ». Autant dire que ça marche la première fois et encore. Parce que la fatigue s’accumule, les effets secondaires aussi. Du coup moi au début je prends un rythme : les courses, les enfants, le ménage, je ne cuisine malheureusement plus depuis que je suis en dépression alors ça c’est plus difficile mais Stéphanie s’en sort bien et fait énorméments d’efforts pour les enfants. Sa mère nous aide beaucoup pour l’intendance et puis un jour ses parents décident de louer pour les 6 prochains mois (soit jusqu’en septembre) un petit appartement dans notre résidence pour être disponibles et autonomes (on vit à une distance qui engendre entre 30 et 45mn de trajet aller simple). Aussi pour que Stéphanie puisse aller se reposer au calme sans personne autour quand dans l’appartement on ne peut pas faire autrement que d’être tous là. Je sais que c’est son père qui est à l’initiative de ce projet et c’est peut-être un des éléments clés qui nous a tous sauvés. Parce qu’on a souvent envie de s’en aller, on est épuisés, on a la rage au ventre. Et puis quand on vit en couple avec des enfants en bas âge, moi en chômage partiel on a beau habiter dans le Sud on n’a pas tout le temps envie d’aller se promener au soleil du coup on se marche dessus. J’ai assez bien ressenti parfois ce que vivent les gens du Loft et autres émissions de télé-réalité où on se retrouve cloîtré. Et aussi cette impression de passer son temps à l’hôpital ou chez le médecin ou à la pharmacie pour elle, pour moi, pour les enfants, pour une séance, pour une consultation, pour des médicaments, pour une fièvre nocturne.

Dans mon projet de reconversion professionnelle que je préparais depuis janvier 2012 j’avais inclus divers déplacements pour faire des reportages. Notamment un dans l’est de la France pour suivre un photographe de nature qui va régulièrement sur le même site toute l’année. On s’était rencontrés lors d’un stage photo et en voyant ses images j’avais eu envie de le suivre saison après saison, le filmer, le photographier pour déboucher sur un webdocumentaire. J’ai fait les premières neiges début décembre, on avait tout planifié, j’avais acheté du matériel pour supporter le froid (pour moi et mon matériel), j’avais calculé le budget des allers-retours, on avait pensé faire une page de crowdfunding pour récolter quelques fonds et avancer plus vite, mieux, avec du meilleur matériel… bref… j’ai fait les premières neiges début décembre. Ensuite j’ai tout annulé. J’ai aussi arrêté de programmer des projets photos. Je voulais être disponible pour Stéphanie le plus possible avec mes propres handicaps j’avais ce travail de correspondant chez Nice-Matin et rien d’autre de mieux en vue, je ne pouvais pas m’éparpiller, je ne pouvais plus dépenser d’argent pour le fun, il fallait que je me concentre. Je lui ai juste demandé une faveur : il y avait en avril un workshop à Arles avec le photographe Antoine d’Agata et cela faisait très longtemps que je voulais y participer d’autant qu’il n’en dispense pas tant que ça. J’ai donc pris une semaine. Ce fut terrible, à la fois parce que je pense que dès que j’ai mis le pied dans la voiture j’ai culpabilisé de partir, en même temps je savais que ça allait me faire un bol d’air frais, mais, pour ceux qui connaissent le travail d’Antoine et ce qu’il allait nous demander, je savais qu’il allait falloir sortir mes tripes photographiques, et puis toutes les questions : s’il se passe quelque chose ? et mes beaux-parents vont-ils assurer ? et surtout est-ce que la séance de chimio va bien se passer ? Parce que ça tombait en plein dans l’emploi du temps des Cxxxx et je ne serai pas là.C’était toujours un jeudi, souvent le matin que les séances avaient lieu. Mon début de semaine avait été cauchemardesque parce qu’Antoine nous demandait une implication et un temps de travail intense et soutenu. Le mercredi je craquais, demandais si des personnes du stages avaient besoin d’aller faire des images hors Arles parce que les miennes je pouvais les faire n’importe où et soudain à 4h de l’après-midi je me suis retrouvé sur une plage avec 2 des autres stagiaires, je me suis déshabillé, le vent était fort, l’eau glaciale, je me suis jeté dans l’eau comme pour me noyer, comme pour me mettre une claque. L’effet a été double, la fin de semaine s’est mieux passée même si après le stage j’ai eu du mal à « redescendre ». Je m’étais échappé de la réalité quelques jours et j’avais beau avoir Stéphanie au téléphone tous les jours ou sur facebook ou par mail j’étais un peu loin. Lorsque le dimanche je suis rentré le monde d’avant était toujours là bien sûr.

Mais on a eu aussi de superbes moments car tout n’est pas tout noir. Je vois que là j’ai tendance à ternir les choses mais on peut aussi s’en accommoder et en profiter. On avait été choisir une perruque ensemble dans un très vieux magasin de postiches niçois. Magnifique endroit un peu surrannée avec une dame charmante, affable et très professionnelle. Il faut dire qu’elle ne voit pas défiler que des acteurs. Et les jeunes femmes de 30-35 ans atteintes de cancer il y en a plus qu’on ne croit. Même les médecins sont surpris ! Mais les campagnes de prévention quand on les écoute bien s’adressent aux femmes de 50 ans et plus… Stéphanie me l’a elle même dit : « ah oui je l’ai entendu la campagne contre le cancer du sein, mais tu parles j’ai le temps ça ne me concerne pas encore… ». Bref elle a essayé toutes les perruques possibles. Au départ elle est brune, alors elle s’est dit : blonde, cheveux longs, puis finalement plus court, puis pourquoi ne pas tenter le rose, et ce roux là il est pas mal, frisé ? ah non ! ah et celle-là ? Oh ben alors ça on dirait tes vrais cheveux. C’est celle-là qu’elle prendra. Du coup pour la mettre et comme les cheveux et les poils commençaient à tomber il a bien fallu un jour se mettre à débroussailler la tête à la tondeuse. Heureusement on avait vu « Intouchables ». J’ai pu jouer Omar Sy et elle François Cluzet. J’ai même réussi à lui faire la bonne blague « souvenir de la 2nde guerre mondiale » comme dans le film.

C1, C2, C3 tout s’enchaîne. Les semaines défilent à une allure folle. Le repos n’existe plus trop. Elle dort à la maison ou à l’autre appartement quand elle veut, je dors dans mon lit, parfois sur le canapé pour ne pas la réveiller avec mes arrivées tardives ou mes insomnies et puis en journée quand les enfants ne sont pas là et qu’il n’y a plus rien à faire. On se dit tiens, je me mettrais bien à ça ou faudrait que je trie mes photos et si je refaisais mes cartes de visites et tiens si je démarchais ce type de boîte et tiens si je regardais un truc. Il y a eu un moment vers juin où les journées n’avaient plus aucun sens pour moi. J’étais une espèce de robot qui arrivait à faire certaines tâches normalement, d’autres pas du tout et quelques-unes pas trop mal en se forçant.

D’autant qu’à C4 le traitement chimiothérapique avait changé. Là, fini la fatigue ! par contre les séances devaient se faire avec des gants réfrigérés aux pieds et aux mains pour protéger ses ongles et leur éviter de tomber ou de se casser. Elle passait d’ailleurs des heures à mettre des couches de vernis. Et puis le nouveau produit induisait de nouveaux effets secondaires dont un assez pénible : douleurs musculaires. Un peu comme quand on a la grippe ou qu’on a oublié de s’étirer après avoir fait un jogging (moi je ne cours pas alors je préfère l’analogie de la grippe). Et contre ça un super médicament de très haute technologie, un truc de malade qu’il faut avoir une ordonnance en triple exemplaire signée par tous les chefs de services de l’établissement pour l’avoir… du paracétamol ! Eh oui « un p’tit cancer ? prenez donc du paracétamol 3 fois par jour, effets garantis en 24h ! » Je plaisante mais sur le moment ça ne m’a pas fait rire parce que vu comme elle avait été fatiguée les 3 premières séances je me suis dit que si les douleurs étaient à la même hauteur elle pourrait prendre des tablettes entières de paracétamol chaque jour que ça ne servirait à rien. Mais non finalement ça ne s’est pas si mal passé que ça et c’était effectivement efficace. Comme quoi on se fait aussi souvent beaucoup de films.

D’ailleurs en tant qu’homme, le cancer du sein, à moins d’être oncologue ou passionné je ne crois pas qu’on soit nombreux à s’y intéresser et à s’y connaître. Du coup on est un peu perdu, on suit le mouvement, on lit les brochures, on écoute les médecins, les internes, les infirmières, les aides-soignants, les parents, la famille, les copains, internet et…. tout le monde a un avis sur tout sans rien y connaître et de façon parfois monumentalement contradictoire.

Heureusement j’ai eu la chance de rencontrer mon chef d’agence. Il avait son équipe de rédacteurs et quand j’étais là pour bosser j’étais son photographe de la journée et comme on bosse tard dans la presse ben passé 20h quand tout est plus calme dans les bureaux on peut causer tranquillement. De boulot, de projets, de passions. Et puis un jour il ne restait que lui et moi, il devait être 21h passées, j’étais sur le PC en train de traiter des images pour l’édition du lendemain et il m’a demandé innocemment si ça allait. Parce que malgré tout ce que j’ai dit sur mon bagage dépressionnaire, j’ai plutôt une carapace affable et rigolarde en société. Ce jour là il avait du voir que la carapace je l’avais laissée à la maison, mais je ne m’en n’étais pas rendu compte. Alors il m’a parlé. C’est le premier mec hors milieu hospitalier qui m’a parlé de ça. Forcément son épouse s’était retrouvée dans le même cas et lui avec, mais il n’avait pas forcément eu la chance de parler, de raconter son quotidien à quelqu’un qui comprendrait. Comme on parle du film qui est passé la veille autour de la machine à café parce qu’on l’a tous vu. Et ça pendant tous ces mois ça m’a porté, ça m’a donné un coup de boost. Parfois c’était juste un « ça va stef la forme aujourd’hui ? » mais ça me remettait en marche pour la journée et ce n’était pas un « ça va ? » qu’on lance tous le matin sans même attendre la réponse parfois.

Surtout que certains matins j’arrivais pour travailler avec dans la tête la séance de la veille comme par exemple la fois où Stéphanie a fait une hypothermie à cause des gants et une allergie au médicament. Bref ça devait durer 1h on est resté la journée… Là aussi les voisins en plus de la famille nous ont bien aidés.

Le 4 juillet c’était C6. Chimio out. Anlyses pré-opératoires et tout le toutim. La fin juillet arrive. Le jour de l’opération. On avait organisé tout pour que ça se passe bien avec les enfants et les grands-parents et que je puisse être dispo pour Stéphanie dès qu’elle serait apte à me voir. Je suis passé, elle était dans les choux mais elle allait bien. Il faisait beau, elle avait la vue sur la mer et j’ai senti un apaisement chez elle. Elle avait vu le personnel soignant qui avait été rassurant et dit que l’opération s’était bien passée, les premières analyses étaient bonnes maintenant il fallait attendre la suite.

La première chose qu’on a faite en sortant : allez dans le meilleur restaurant japonais de la ville qui sert des sushis mais exactement comme au Japon. Ils sont à tomber. Car il faut savoir une chose, durant une chimio et un traitement anti-cancéreux les aliments crus vous pouvez les regarder passer. Elle a du se faire une ventrée de sushis, sashimis. Le lendemain 1kg de carpaccio et le surlendemain un tartare de 5kg. Ensuite elle n’a plus rien mangé jusqu’à fin août.

Et c’est là qu’on est presqu’à la fin de l’histoire, mais pas la fin du tunnel. Le mois d’août a été libre parce qu’il fallait attendre au moins 4 semaines avant d’attaquer la radiothérapie quotidienne en septembre. J’ai fini par lâcher l’entreprise de presse où j’avais un très mauvais statut social et je voyais que rien de mieux ne venait, ce qui me mettait en rage mais je ne voulais pas lâcher parce que j’étais bon dans ce que je faisais. Mais les mois passés aidant j’en ai eu assez, j’ai dit stop tant pis j’ai essayé mais vivre de la photo de presse du jour au lendemain à 40 ans avec une famille ce n’est pas si simple. Je n’ai pas abandonné, mais je suis allé voir mon Directeur Photo au cas où il aurait quelque chose à proposer hélas on était en plein milieu des méandres financiers qui sentaient plus le plan social que l’embauche. Il m’a demandé comment j’allais. Je lui ai un peu raconté Stéphanie. Il m’a regardé. Son épouse avait été opérée la veille.

Aujourd’hui le 4 octobre c’est le premier anniversaire de notre second fils. Dans 14 jours les séances quotidiennes de radiothérapie et les aller-retours vont se terminer et on va partir en vacances pour la Toussaint. J’imagine qu’elle va avoir un suivi médical très régulier pendant un moment. Je sais qu’elle a fait une analyse génétique pour voir les probabilités de récidives, mais vu le nombre de demandes et la lenteur des tests on n’aura pas les résultats avant 1 an ou 2, alors d’ici là on va en profiter… et bien plus encore !