Quand j’avais 14 ans et demi et que ma mère est morte en trois mois d’un cancer du sein que les médecins nous avaient annoncé facile à soigner, j’ai perdu un bout de moi et un bout de ma vie.

Deux ans plus tard, j’étais dans le bureau d’une onco-généticienne : nous étions l’une des premières familles françaises à bénéficier du dépistage génétique BRCA et ma mère était porteuse d’une mutation sur BRCA1.

J’avais un risque sur deux d’en avoir hérité. Mais nous verrions plus tard si cette mutation me suivait, 16 ans et demi c’était trop jeune pour y penser.

Pourtant, j’ai grandi avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Intimement convaincue que j’avais hérité de cette mutation qui avait tué ma mère en quelques semaines. Sans même que je puisse lui dire adieu.

J’ai fait mes études, j’ai eu mon premier emploi, j’ai rencontré des hommes, j’ai eu deux enfants, avec un compte à rebours dans la tête. J’allais mourir à 35 ans, comme ma mère. Sans avoir fait le dépistage génétique, j’avais ce décompte et cette fatalité en tête. Il fallait que je savoure chaque moment, chaque succès, chaque joie.Et puis mon choix a été vite fait, même si j’y ai réfléchi de longues années : si j’étais porteuse de la mutation qui avait tué ma mère, je choisirai forcément de me faire enlever les seins puis les ovaires dès que possible.

Le test a confirmé la présence de l’épée de Damoclès que je sentais déjà. Quand j’ai décidé que je n’aurais plus d’autre enfant, vers 27 ans, j’ai décidé d’officialiser mon choix radical.

J’aurai bientôt 30 ans. Et bientôt plus mes seins. Et je le vis bien : je ne compte plus jusqu’à 35.

Parfois, on me demande comment je pourrai être encore femme. Mais je suis femme ! Je suis femme parce que je suis forte. Je suis mère. Je suis féminine parce que je suis femme, et non parce que je porte encore des soutiens-gorges pour quelques semaines.

Je resterai féminine, pleinement féminine, bien que j’ai choisi de ne pas subir de reconstruction -trop lourde et contraignante pour moi et ma vie telle qu’elle est.  Mes seins ont nourri mes bébés. Maintenant, ils sont une zone de risque. Je n’ai aucune difficulté à m’en séparer. Je resterai une femme.

Si la maladie frappe quand même, j’aurai fait tout ce que je pouvais pour l’éviter et l’éloigner. La mutation BRCA1 de ma famille m’a suivie, j’espère la fuir. Parce que je suis la première à disposer de cette possibilité, de cette information, avant d’être atteinte. J’en profite pour agir. Quoiqu’il arrive ensuite, je pourrai dire à mes enfants que j’ai tout fait pour nous épargner les épreuves que j’ai moi-même vécues.

Je veux faire des projets, imaginer voir mes enfants grandir, et ne pas m’en remettre à un dépistage hasardeux tous les six mois à un an. J’ai quitté un homme qui nous faisait du mal, alors je compte bien revivre.Peut-être que je n’allonge pas ma vie. Mais je lui ajoute de la sérénité. La qualité vaut mieux que la quantité. BRCA1, tu es là en moi, tu as déjà fait beaucoup de mal. Mais j’essaie de te donner moins de possibilité d’en faire encore.