L’adage dit qu’on n’est riche que de ses amis. Ça n’est pas faux, quand les amis méritent ce statut. Je ne parle pas des connaissances, des gens qu’on aime rencontrer, ceux avec lesquels nous trouvons des affinités ou simplement des personnes qui nous font du bien. On les aime aussi, mais ils ne font pas partie intégrante de notre famille, de notre cercle très privé.

Non, je parle des vrais amis, ceux qui ont rejoint le cercle intime, ceux sur lesquels on peut compter vraiment, ceux qu’on peut appeler à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit juste pour partager un état d’âme. Je parle aussi de ceux qui ne voient pas en nous juste le reflet d’une notoriété quelconque, ceux qui se font« mousser » parce que c’est sympa et utile de nous compter parmi leurs amis, ceux qui se servent de nous.

Il y a ceux de qui vous attendez impatiemment le coup de fil parce que vous êtes en besoin de leur amitié et qui ne trouvent pas la minute qui fait du bien dans leur emploi du temps. Qui vous disent même qu’ils ont essayé de vous appeler mais qu’il n’y a jamais eu de réponse, mais que vous ne retrouvez pas dans la liste des appels manqués. En principe, ils vous connaissent, ainsi que votre entourage, mais l’idée d’appeler le partenaire pour prendre des nouvelles ne leur effleure pas l’esprit parce que lui aussi a besoin de leur amitié et de leurs mots. Pourtant, vous étiez là quand leur coeur pleurait. Mais ne dit-on pas de l’amitié, la vraie, que c’est donner sans rien attendre en retour. Mais quand même ! Et puis, il y a ceux dont on n’attend rien de particulier et qui vous glissent la petite phrase qui met du baume au coeur. Les anonymes parmi vos connaissances. Ceux qui ont la décence de déposer leur sac de pierre à vos pieds et qui attendent que vous leur expliquiez comment bien le porter pour qu’il soit moins lourd et qui repartent avec. Les tendres découvertes de la vie, les discrets du coeur qui ont juste envie de vous faire du bien.

On dit qu’on peut tout dire à un ami, parce qu’il ne vous jugera jamais, parce qu’il saura trouver les mots ou les silences qui font du bien. Il saura aussi vous écouter. L’amitié est sans concession, quand elle est acquise, c’est pour la vie. Enfin, on croit ça et puis, parfois, on est déçus. Le pire ennemi de l’amitié est le mensonge. Que ça soit par lâcheté, par ignorance ou simplement pour nous en mettre plein la vue. Il nous trompe. Comment peut-on vouloir impressionner un véritable ami, alors qu’il ne vous aime pour ce que vous êtes et pas pour ce que vous représentez. Il n’est pas dupe, il n’a pas besoin d’être impressionné. Il ne vous aimera pas plus parce que vous lui jetez de la poudre aux yeux. L’ami vous connaît tellement bien qu’il peut détecter vos failles. D’ailleurs, il les connaît et s’en accommode, parce que, lui aussi, a les siennes. Nobody is perfect. La perfection est ennuyeuse, elle ne met aucun relief dans l’existence. Un être trop lisse est suspect, donc pas digne de notre amitié. Les défauts et les qualités de chaque être humain font ses différences et justifient la confiance qu’on met en eux.

On regarde toujours l’autre avec notre propre regard, avec notre cœur, notre vécu, la limite de nos tolérances. Et parfois, on se trompe. Un être en qui vous avez mis toute votre confiance peut vous décevoir. Pas parce qu’il a accompli des gestes ou provoqué des situations hors-normes, mais parce qu’il n’a pas eu le courage d’en parler. L’intelligence du cœur est une qualité que peu de personnes savent manier. Si notre interlocuteur est une personne en qui nous avons mis toute notre confiance, elle doit la mériter. L’amitié est une valeur. On choisit ses amis. On peut entendre les mots qui font du bien ou qui font mal, on peut discuter sans se disputer, on peut ouvrir l’espace de l’acceptable et comprendre. Mais l’ami, le vrai, qui vous ment ne mérite plus ce statut privilégié. C’est un peu se faire prendre pour un con. Alors, une série de questions vous traversent l’esprit. La sempiternelle culpabilité de se demander si on n’est pas allé trop loin dans nos paroles, si nous n’avons pas outrepassé notre droit à la pensée, si nous ne nous sommes pas mal exprimés. Mais non, confrontés à un ami qui ment, nous avons mal, parfois très mal même. On se sent trahi. Viennent alors les questions sous-jacentes. Quand on était encore des vrais amis, était-il sincère ou m’a-t’il prise pour un pigeon qui servait son image ? Ca fait mal de se poser ces questions. On essaye d’en discuter et on reçoit une volée d’explications, de mots d’excuses, mais la confiance a été mise à mal et il faut tout reconquérir. Ou pas.

A-t’on vraiment du temps à perdre avec des gens qui prennent votre confiance mais ne vous accordent pas la leur ? Ils sont juste des connaissances et nous n’avons plus envie de leur ouvrir notre cœur et notre porte. C’est dommage. On ne garde alors que le souvenir des bons moments, comme dans un couple qui se déchire.

Je n’ai aucune rancœur, peut-être une pointe de regret quand un ami me tourne le dos, quand il ne se remet pas en question, quand il estime que je n’ai rien compris, que le dialogue est celui d’un sourd et que l’amitié se transforme en banale relation. Les amis ne se comptent pas en chiffres, mais en qualité. On ne doit pas se voir ou se téléphoner à longueur de journée, on doit juste savoir qu’ils sont là. Penser à eux doit voir naître un sourire dans le cœur. C’est aussi l’ami vrai qui prend de vos nouvelles quand il sait que vous traversez des moments difficiles. C’est l’ami qui vous appelle ou vous écrit juste pour prendre de vos nouvelles. C’est l’ami qui trouve naturellement les mots qui réconfortent ou qui félicitent. C’est l’ami qui est sincère quand il dit qu’il vous aime telle que vous êtes. C’est l’ami qui participe aux événements heureux ou malheureux de votre vie. L’amitié est une qualité qui vient de façon naturelle. On ne la force pas, c’est juste une question d’atomes crochus, comme on dit. On lui rend la pareille, par pure amitié, par envie sans arrière-pensée.

Puis, un jour, le téléphone sonne. Une voix triste vous annonce que l’ami est parti loin, très loin. Et là, les larmes nous rappellent qu’on n’a pas pris le temps nécessaire pour dire à ceux qu’on aime, qu’on les aime vraiment.

Le temps est assassin, il vous colle des rides, il vous rappelle que c’est une course dont il est le maître. Le temps n’est pas de l’argent, parce que l’amitié ne se monnaye pas, elle se gagne avec le cœur et l’âme.

A vous, mes quelques vrais amis, je vous le dis haut et fort : je vous aime tant.

Aux autres, bien que je n’ai même pas l’envie de perdre ce précieux temps, qui m’est compté, je dirais simplement que je les ai aimés vraiment, mais qu’ils m’ont déçue, qu’ils m’ont fait du mal et qu’ils ne méritaient pas la confiance que j’ai mise en eux. J’ai été aveugle ou naïve, mais ce que j’ai fait pour eux, je l’ai fait sincèrement et gratuitement. Apparemment, le mot gratuit est inconnu à leur coeur. On ne doit pas toujours faire les choses pour être rémunéré, n’est-ce pas ?

Je leur dis aussi que je continue à vivre sereinement et intensément, avec ou sans eux.