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Rencontre avec le Dr Marc Espié, oncologue spécialiste des cancers du sein, qui expose son point de vue sur le dispositif d’annonce du côté des professionnels de santé.

 

Beaucoup de patients expriment le fait qu’au moment de l’annonce, le médecin / oncologue prononce peu le mot « cancer ». Selon vous quelle en est la raison ?

  Quand on annonce à une personne « Vous avez un cancer », le mot est immédiatement associé, qu’on le veuille ou non, à la mort. Les médecins peuvent ressentir une forme de gêne, une sorte de blocage personnel ou tout simplement avoir peur que le patient fasse directement le lien avec la mort. De mon point de vue, cette forme de gêne est liée à la symbolique très négative du mot « cancer ».  

Depuis que vous exercez votre métier, avez-vous souvent prononcé le mot « cancer » à vos patients lors de l’annonce ?

 

"Depuis que j’exerce en tant qu’oncologue, j’ai toujours prononcé le mot cancer.

 
Je dis souvent qu’il faut appeler un chat, un chat ! Comme je m’occupe des patientes qui ont un cancer du sein, je dis par exemple : « La micro-biopsie a révélé des cellules cancéreuses, il y a donc un processus tumoral, et pour appeler un chat, un chat, c’est un cancer du sein ».
  On va dire que j’amène le mot dès la consultation d’annonce mais en ne disant pas forcément le mot d’emblée. Je l’annonce toujours à un moment opportun lors de la consultation d’annonce, et cela, depuis toujours.   J’ai été formé au départ à l’hématologie et on a toujours donné et nommé le diagnostic au patient lors de mes études. J’ai par contre vu la différence quand j’étais consultant en oncologie. Effectivement, on ne disait jamais rien aux patients et surtout pas leur diagnostic. Je vous parle de ça il y a 30 ans !   Je me souviens dans les années 80, dans un service de gastro-entérologie, il y avait un diagnostic réel : « le cancer » du côté des médecins, un diagnostic famille où on pouvait dire : « c’est un polype évolué » et puis un diagnostic patient où on disait simplement : « c’est un polype ».   J’ai vu les dégâts que cela pouvait entraîner chez les malades, l’anxiété majeure que cela crée. Je pars du principe qu’à un moment ou à un autre les malades finissent par connaître leur diagnostic. Et c’est à ce moment-là que la confiance, le lien entre patient et médecin est complètement rompu. À ce moment précis, on peut « ramer » très longtemps avoir de pouvoir le rétablir."  
Le fait de ne pas prononcer le diagnostic exact affecte la relation entre le patient et le médecin.
  C’est pour ça que j’ai toujours prononcé le mot cancer depuis que je fais de la cancérologie. Je demande toujours « est-ce que vous avez des questions à me poser » ; Mais si on ne me pose pas de questions je ne vais pas détailler ce que l’on ne me demande pas. Par exemple quand quelqu’un a des métastases, là encore, je vais dire qu’il y a des métastases ou qu’il y a une extension de la maladie ; que cela correspond à des cellules du cancer qui sont parties se promener ailleurs et se fixer dans un autre organe. Par contre, je ne vais pas détailler l’étendue des métastases, sauf si on me le demande.  
Je pense aussi que les gens ont le droit de ne pas savoir. Il y a des gens qui veulent savoir et d’autres qui ne veulent pas du tout savoir. Je pense qu’il faut respecter cette volonté de ne pas savoir.
 

Selon vous, depuis toutes ces années, comment le dispositif d’annonce a évolué du point de vue des professionnels de santé ?

 

De mon point de vue, le dispositif d’annonce a été un réel pas en avant parce qu’il y a désormais différentes étapes.

Les médecins évoquent beaucoup plus la réalité des choses à leur patient qu’auparavant.   D’autre part, les infirmières d’annonce permettent de vérifier que le patient a bien entendu ce que le médecin a dit. Parce que vous savez lorsque l’on dit le mot « cancer », il y a quand même une sidération majeure qui se crée et souvent les gens n’entendent pas grand-chose d’autre de toute la consultation. On croit et on peut avoir bien expliqué, mais le patient a l’impression que l’on a rien dit parce qu’il n’a entendu que le mot cancer. Il y a comme un blanc qui se crée. Il est donc important que l’infirmière puisse rediscuter avec le patient pour savoir ce qu’il a entendu et compris des explications du médecin. Si besoin, elle peut les reformuler pour que les patients puissent se réapproprier l’annonce.  
Je pense que l’on a fait des progrès manifestes sur ces dernières années. Tout n’est toujours pas parfait, mais je pense que l’on a quand même progressé.  

Qu’est ce qui pourrait, selon vous, améliorer le dispositif actuel ?

 

Que les médecins aient du temps !

C’est ça qui nous manquent le plus, sans vouloir toujours ramener ça sur le devant de la scène. Il y a 20 ans, j’arrivais à voir les patientes 2 voir 3 fois pour reformuler l’annonce et organiser leur plan de soins. Ce que je ne peux absolument plus faire maintenant. Aujourd’hui en une consultation, tout doit être bouclé ou presque. Je pense que l’on manque vraiment de temps.   On voit davantage de patients que l’on n’en voyait avant et puis nous manquons quand même globalement de médecins.   Découvrez également l'interview exclusive de Natacha Espié,  psychologue-psychanalyste et présidente de l’association Europa Donna, qui nous donne son point de vue sur le fait de Personnifier son cancer ou l’ignorer ?