Ça débute par un tout petit détail anatomique anormal découvert au sortir des vacances d’été, s’en suivent des soupçons, des doutes et des inquiétudes ponctués de délais parfois insoutenables au fur et à mesure des consultations diverses et variées (certains praticiens inconscients de leurs avis pseudo-rassurants) jusqu’aux larmes de l’un et de l’autre une fois le verdict froidement annoncé dans l’isolement d’une minuscule salle de soins de la clinique …
Alors, haut les cœurs, le combat de mon épouse devient aussi en partie le mien, son courage et son abnégation feront leur œuvre et forcera (en silence) mon admiration et celle des proches.
La Douleur : maitre mot d’une histoire bouleversée … douleur toujours présente malgré la fin de la maladie et la phase rémission entamée … douleur au sens large qui impacte certes le conjoint, mais aussi les enfants bien évidemment, les parents les ami(es), les collègues …
… aujourd’hui alors que le plus dur est derrière elle, je prends conscience pourtant que je n’ai pas été forcément à la hauteur quant à ma présence et mon comportement durant sa maladie. Puissions-nous l’être de toute façon suffisamment vu le cataclysme subit par l’autre et dont la souffrance sera toujours bien plus importante que la nôtre ?
A l’heure actuelle, elle est jusqu’à preuve du contraire, complétement guérie, sortie d’affaire. Elle a donc traversé cette épreuve avec détermination … je ne peux pas en dire autant. J’ai été présent oui, j’ai été là physiquement parlant mais moralement je n’ai pas été le soutien attendu … je me sens un peu indigne de ne pas avoir été à la hauteur de la situation. Je souhaite donc que ma propre expérience, même malheureuse, puisse servir aux conjoints confrontés à telles situations de façon à ce qu’ils (ou elles) ne fassent pas les mêmes erreurs.
Mon témoignage existe pour appuyer sur le fait que la présence proche d’une personne, qui plus est de celui ou celle qui partage la vie au quotidien du malade, est d’une très grande importance … d’où la nécessité de ne pas « se rater » dans ce genre de situation pénible. Une fois la sentence assimilée il était cependant très clair pour moi que cette épreuve qui était imposée à ma compagne, qui nous était imposée finalement, ne pouvait qu’être un évènement qui devait nous rassembler et recentrer notre couple sur de vraies valeurs. Mon épouse a été très affectée par cette sentence totalement injuste à ses yeux et sachant en particulier ce qu’il qui l’attendait alors que sa mère avait été confrontée à cette même maladie 10 ans auparavant. J’ai aussi accusé le coup au début mais paradoxalement c’est à ce moment-là que je pense avoir été le plus « présent ». Pour moi, dès le début, passé l’émotion du verdict, je n’imaginais de toute façon aucune autre alternative que la guérison. Par la suite ce fut le long et éprouvant parcours du combattant pour elle … le parcours classique mais contraignant … un protocole de traitement parmi tant d’autres : anesthésie, chirurgie, tumorectomie, chimiothérapie, radiothérapie …
Loin de moi de sous-estimer la gravité de son cancer mais dans son malheur elle aura eu un peu de chance je dirais : la maladie a été détectée suffisamment tôt … la tumeur même agressive était petite, elle n’a pas subi le traumatisme d’une mastectomie, elle n’a pas été réopérée après une tumorectomie pour un curage lymphatique, elle a bénéficié d’une chirurgienne « virtuose » qui a soigné son intervention, elle était en bonne santé, jeune robuste et a supporté ses traitements chimio et radio de façon exceptionnelle (même le corps médical en convient !), enfin elle a pu bénéficier d’un programme de remise en forme après ses traitements ce qui lui a permis de bien entamer sa reconstruction.
Cependant, durant son traitement et même après, elle est restée assez fragile et « sensible », enseignante et passionnée par son travail, à son corps défendant elle a dû stopper totalement son activité durant toute une année scolaire, et puis la perte de ses cheveux, des cils, des sourcils et des ongles qui fut encore un grand traumatisme pour elle. De mon côté j’ai parfois manqué de patience et mis beaucoup de temps à réaliser ce qu’elle pouvait ressentir et j’ai pu lui paraitre parfois trop insouciant et désinvolte. J’ai tardé à accepter et comprendre certains de ses ressentis, de ses perceptions, ce qui a inévitablement provoqué des « décalages » malheureux dans notre relation. En premier lieu, quant à la gravité de la maladie et de comment cela est perçu précisément par le malade. J’étais déstabilisé à ce moment-là par un optimisme trop débordant, par la « bienveillance » et la compassion des proches, de leurs témoignages plus ou moins orientés, de leur soutien parfois maladroits des (fausses) idées reçues, des « on-dit » … Et puis plus tard, peut-être trop tard, j’ai pourtant enfin compris, j’ai « percuté », assimilé ses peurs et sa détresse. C’est d’ailleurs une sensation très curieuse et très furtive. Cela marque l’esprit à jamais et c’est d’autant plus frappant quand on imagine que le malade y est confronté constamment : le spectre de la mort. Ça pourrait paraitre insignifiant, mais il y a eu aussi ce temps perdu pour cerner précisément ce que peut-être le réel traumatisme provoqué par la chute des cheveux pour une femme, de cette perte de féminité et d’identité pour elle.
A vrai dire, la santé de notre couple n’était pas au mieux avant la maladie. Je suis donc bien incapable de savoir si la maladie est liée à ça, si mon comportement avant la maladie et/ou face à la maladie en est à l’origine, si cette situation était inévitable mais toujours est-il que les dégâts ainsi accumulés sont si importants que nous sommes malheureusement en train de nous séparer. Elle a, selon elle, fait le point sur sa vie et son avenir dernièrement. Une chose est certaine, la maladie transforme le malade, celui-ci en ressort différent complétement transformé. Elle a donc décidé que c’était pour elle une alternative qui lui permettrait de rebondir après tant de traumatismes. Attendue et redoutée, sa décision m’a désillusionné et déçu mais je l’accepte sans vraiment en comprendre la disproportion. Même si la maladie ne peut pas expliquer à elle seule ce gâchis bien dommageable elle en a sa part de responsabilité. C’est triste à dire mais le cancer aura eu pour effet sa remise en cause. Comme elle se plait à me dire « j’ai fait un reset … une remise à zéro ». La maladie lui a fait prendre conscience d’un certain nombre de choses, sur ses objectifs, sur ses envies, sur ce qu’elle est et souhaite être, sur son besoin de sérénité et de calme qu’elle ne semble pas avoir en ma compagnie.
Tout ça pour dire, que votre couple soit solide ou surtout moins solide, qu’en période de maladie sérieuse de votre conjoint, alors qu’on l’aime et qu’on lui voue pourtant un amour sans faille, il ne faut absolument rien lâcher. Qu’elle que soit la maladie et son niveau de gravité, cette épreuve doit rassembler et non éloigner. Coute que coute il faut faire preuve de patience d’attention et d’une vigilance de chaque instant. Il ne faut pas, au sens général, laisser la maladie vous envahir, maltraiter ou altérer votre couple quels que soient les évènements pouvant ponctuer le parcours du malade. La tentation est certes parfois grande d’abandonner tellement, faut-il reconnaitre, le malade peut-être parfois exigeant et « cruel » ! Cela évoque précisément ce que le malade ressent en termes d’injustice et de souffrance et c’est sa façon de l’extérioriser. D’autres évènements peuvent probablement venir perturber le cheminement vers la guérison, comme les effets pesants de certains traitements, la transformation du corps, les effets sur le psychisme, le travail et/ou l’inactivité, les difficultés financières et logistiques, la famille plus ou moins présente …etc. Il y a une solution, une réponse à toutes difficultés et il ne faut pas hésiter à demander de l’aide. La famille et surtout les enfants sont très importants. Les enfants auxquels il ne faut rien cacher, ils sont loin d’être idiots, et ce à tous âges. Voilà donc en somme une tranche de vie qui pourra peut-être apporter une aide, ne serait-ce qu’à une seule personne, pour savoir « être », être présent et courageux au bon moment et finalement savoir écouter, comprendre et accepter le point de vue de l’autre … ça en vaut la peine.
Sincèrement,
Stéphane