Cela fait à peine quelques jours que je suis sans drains, sans pansements, complètement nue, libérée de mes douleurs et d’une partie de mes peurs.

 

Le Docteur ProDulolo me l’a confirmé : les risques du sein gauche se sont éloignés et les traumas du sein droit vont s’envoler.

 

Aujourd’hui, je peux lever les bras au ciel sans craindre que mon muscle ne s’arrache, sans avoir l’angoisse que ce geste ne me porte la poisse.

 

Je peux hurler au monde entier que ma vie est prolongée. Combien de temps ? je ne le sais pas, mais suffisamment pour oser penser à l’avenir de mes enfants, m’imaginer auprès d’eux lorsqu’ils seront grands.

 

Mais je traverse chaque matin une petite épreuve dans mon quotidien. Je suis secouée par un rituel destiné à me faire belle : prendre ma douche pour éviter l’arrivée des mouches.

 

Lorsque je passe la paume de mes mains sur mon torse équipé de fils barbelés, je vois des étoiles, je manque de tomber. Mon cœur se serre, mon flux sanguin s’accélère, mon cerveau chauffe au point d’exploser.

 

J’y vais doucement pourtant. Je caresse lentement les plaies de mon corps avec mon savon qui sent bon. Je ressens au creux de mes mains chaque petit fil, chaque petit pli laissé par les bistouris. J’explore ces nouvelles traces sur mon corps pour les faire miennes, les apprivoiser pour enfin les adopter.

 

J’essuie délicatement mes cicatrices, je fais le tour complet de leur état. Elles ne sont pas belles, elles sont très grandes et traversent la quasi totalité de mon petit buste robuste. Mais elles vont bien et elles sont propres.

 

Les regarder me procure le sourire car elles me parlent de mon avenir. Mais les toucher me donne le vertige et aussi la nausée au contact de la réalité.

Cette épreuve de la douche m’épuise. Je dois m’allonger pour récupérer, retrouver mes esprits et continuer ma journée. Ce bol d’émotions puise toute mon énergie et me démunit. Je pourrais l’éviter et arrêter de me laver. Mais je devrai faire face à d’autres difficultés qui ne seraient pas agréables pour nos nez.

 

Ces quelques minutes de rituel me permettent de faire connaissance avec ma nouvelle existence. J’explore mon petit corps. Je touche du doigt mon nouveau moi. Je me rencontre, je me découvre, je m’accueille.

 

Je ne suis pas triste de tout cela. Je ne pleure pas au regard des dégâts. Je suis émue par ce changement chamboulant, renversée par les traces laissées et déboussolée par mes sensations au contact de mes « non-nichons ».

 

Mon image extérieure ne me fait pas peur. Ma silhouette androgyne me donne même bonne mine. Dès que je suis habillée, dans le miroir, je peux m’admirer, me sourire et respirer.

 

Mais j’ai besoin de m’apprivoiser en entier. J’ai besoin d’intégrer que mon enveloppe a changé, qu’elle est bien à moi, qu’elle va un peu s’améliorer mais que des traces vont demeurer.

 

Chaque douche qui passe me rapproche de cette adoption, mais cela n’est pas sans émotion.

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