Tant de choses ont déjà été écrites, tant de femmes ont déjà, j’allais écrire « subi » mais je préfère « vécu » cette expérience. On m’avait dit que cela allait être terrible, qu’il s’agissait d’un combat et je les ai crues toutes ces personnes bien intentionnées dans leur élan de compassion, pour vous montrer qu’elles, elles savent, que vous, vous ignorez encore, toutes ces personnes qui vous veulent du bien.
Il y a ceux qui ont accompagné leur cousine et là « c’est terrible » et si la première séance de chimio se passe bien alors il faut faire attention pour la deuxième, elle sera vraiment terrible comme si le corps gardait une réserve de douleurs pour mieux les faire sentir. Et si la deuxième ne se passe pas si mal alors attention, un autre cancer risque de succéder rapidement à celui là et il sera encore plus terrible. D’ailleurs quand il s’agira d’enlever le cathéter après la dernière chimio, elle sera la première à me prévenir : « et pourquoi on te le retire si tôt, il vaut mieux le maintenir au cas où tu en redéveloppe un autre ! » Mais oui bien sûr……
Il y a ceux qui vous demandent « et tu crois que tu t’en sortiras ? »
D’autres si ce n’est pas trop difficile d’être mutilée
Il y a ceux qui fuient, dès fois que ce serait contagieux
D’autres qui questionnent histoire de savoir ce que j’ai fait de mal ou comment j’ai pu être « contaminée par une mauvaise alimentation », intoxiquée « avec tous ces pesticides, vous savez ? » ou je ne sais quoi, pour leur éviter de reproduire les mêmes erreurs
Il y a ceux et pourquoi ceux d’ailleurs, il s’agit surtout de celles qui ont tellement peur d’être elles mêmes concernées. Mais non, cela ne touche que « les autres » ou moi. Mais il y a aussi celles qui me disent « il faut chercher plus loin, ce n’est pas par hasard que cela t’arrive à toi », histoire de te culpabiliser, de te faire croire que ce sont tes « mauvaises actions « qui ont amené ce crabe en toi. Ou alors c’est ce petit rien que je lui ai fait il y a vingt ans, qu’elle n’a jamais digéré et pour lequel je suis « punie » si longtemps après. Allez cherche, cherche encore pourquoi tu es malade me répète t elle. Elle a même un livre à me conseiller.
Ce crabe, il fait aussi peur à celui sur qui il a choisi de se développer que des autres qui ont surtout envie de ne pas « l’attraper ».
Il y a aussi celles qui ont envie d’en savoir plus, de rentrer dans les détails « ça fait mal, la cicatrice n’est pas trop hideuse » et pour vous amadouer pour forcer la confidence vous parle d’une amie qui en avait une « labourée »
Sans parler de ceux qui ont perdu un proche et si je veux minimiser pour ne pas réveiller leurs souffrances, me disent « tous les cancers sont graves, il faut se battre ! ».
Se battre ! Se battre contre quoi ?
Et en bon petit soldat, on prépare son combat. Première injonction : « ayez le moral, sinon vous ne vous en sortirez pas ! »
« A vos ordres docteur ! Je vais vous obéir et bien me comporter. Moral le matin, moral le midi, moral le soir au programme. Euh……. Vous m’avez prescrit le moral mais que dois je faire de cette ordre ???? Vous m’avez enlevé un sein, je dois « faire comme d’habitude », je ne dois rien changer à mes bonnes habitudes. Je dois considérer que tout le traitement à venir ne doit pas nuire à mon moral. Sinon, euh, sinon, eh bien je n’ai plus que 50 % de « chance » de survie. Vous êtes sûr Monsieur le chirurgien ? Non, vous êtes quand même sympa, en voyant ma tête complètement décomposée, vous acceptez de monter jusqu’à 70 %. J’ai gagné 20 % rien qu’en vous implorant de mon regard larmoyant. Il va falloir garder cette tête pour être rassurée ?
Je sors de l’hôpital avec cette injonction au bonheur. Mince, que dois en faire…… Zut, un tramway arrive et j’ai failli être écrasée. Et dire que j’ai peur de mourir de ce cancer et là j’aurais pu finir là sous cet engin en quelques minutes. Enfin, non, pas tout à fait, peut être que j’aurais eu la colonne vertébrale touchée et cela ne m’aurait pas évité les traitements à venir. Quoi ? Subir une chimio et une radiothérapie sur un fauteuil roulant ? Pas terrible, on est quand même mieux sur ses deux jambes pour y aller en bon petit soldat pour ce fameux combat.
Après l'épisode de l’accident de tramway raté, il faut se ressaisir, il faut obéir au commandement. Alors directement, direction coiffeur. Il paraît que je vais perdre tous mes cheveux alors autant anticiper et changer de tête. C’est ce qu’on m’a conseillé. Obéir, obéir, ne pas réfléchir. Ecouter les prescriptions : « soyez heureuse, vivez normalement, préparez vous à vivre le pire, anticipez la chute de cheveux, alors faites vous raser, la boule à zéro, cela vous prépare tellement à votre tête à venir. »
A la coiffeuse qui me demande quelle coupe je souhaite, je réponds, comme vous voulez, les cheveux le plus courts possible. Mais Madame me répond elle, précisez ce que vous voulez : les oreilles dégagées ? Une raie au milieu ? C’est important que je comprenne exactement ce que vous voulez…. Oui et moi ce que je veux ? Bref, je finis par avoir une coupe courte, je me trouve moche et je le dis en souriant. Et oui Madame la coiffeuse, on peut sourire en se regardant dans la glace en se trouvant moche et ne pas vous en vouloir d’avoir anticiper la perte de ces cheveux.
Et le comble c’est que la coupe plait !!!! Non mais ! Moi qui voulais les couper depuis longtemps, qui subi cette coupe, voilà mon mari, mes enfants qui aiment cette nouvelle tête La question c’est : veulent ils me soulager et me mentent ils ou y croient ils vraiment ? Le comble c’est qu’ils ont l’air d’apprécier
Alors d’abord, sortir de la sidération dans laquelle l’annonce vous a plongé et s’ancrer dans cette putain de vie.