Cela fait un mois que je me suis lancée tête baissée dans une nouvelle étape de mon traitement. Quotidiennement, j’ingère ce petit cachet blanc d’hormonothérapie qui doit faire partie de ma vie.   J’appréhende ses effets secondaires, j’ai peur qu’il me transforme en mémère. Mais je ne veux pas trop y songer, je préfère rester concentrée sur son pouvoir annoncé : « Le protecteur de crabe tueur ».   Pour l’instant, je ne vois rien à l’horizon. Je n’ai pas de douleurs articulaires, de bouffées de chaleurs, ni de poils au menton. Mais mon moral chute de manière vertigineuse, cela me rend bien soucieuse. En l’espace de deux petites semaines, je suis passée du « blues dans les Shoes » à une déprime qui me décime.  
Je me suis fait voler mon sourire, mon entrain et ma joie de vivre.
Une pluie de larmes me réveille le matin. Je me lève sans le plaisir d’accueillir une nouvelle journée. J’énumère mes bobos avec fatalité. Une envie de dormir s’accapare de mon corps le midi. Je traine ma carcasse cabossée tout le long de la journée. J’essaie pourtant de me secouer mais sans succès. Un désir de mourir me glace à minuit. Mes nuits ne sont pas magnifiques, elles sont même très chaotiques. Des idées noires viennent me voir. Les angoisses et les frayeurs me donnent des sueurs et de sérieux coups dans le coeur.   Je ne sais pas quoi faire pour stopper cette machine infernale, je me sens complètement impuissante face à ma dégringolade qui semble être programmée. Je veux croire qu’elle est provisoire, que c’est bien elle, l’hormonothérapie, la responsable de tout ce bazar. Peut-être qu’avec quelques mois d’adaptation, je verrai une amélioration…   Mais si ce n’est pas vrai ? Si ce n’est pas elle qui me cause tout ça ? Si c’est seulement moi qui me mets dans cet état ? Est-ce que je ne prends pas un risque à laisser s’installer ce mal-être en moi? Est-ce le signe que je suis en train de baisser les bras ? Est-ce le début d’une dépression post-traitement qui n’aurait rien trouvé de mieux que de venir me rendre visite dès maintenant ? Est-ce que je m’écoute trop à prendre soin de mes bobos ? Est-ce que je suis affaiblie au point de ne plus pouvoir agir sur mon esprit ?  
Je ne comprends pas, je n’ai pas de véritable raison, aucune explication, mais cette déprime est bien entrée dans ma maison.
Je prends le temps d’observer mon noyau d’amour pour m’assurer que ce n’est pas lui qui me joue un tour. Mais tout va bien de ce côté-là, je ne vois rien qui pourrait me causer ces tracas. Mon grand garçon respire à pleins poumons, Ma petite chouquette vient de prendre deux centimètres, Mon amoureux est fatigué mais très joyeux, Ma silhouette légèrement affinée retrouve le plaisir de s’habiller.   En dehors de quelques soucis administratifs, il n’y a rien pour me redresser les tifs. Et pourtant, mon corps se remplit de larmes tel un nuage qui se prépare à l’orage. Mon coeur se sert à outrance au rythme d’une mauvaise danse. Mon squelette semble avoir disparu pour laisser place à un corps de limace. Ma peau n’est pas poudrée, elle est pâle, à peine rosée. Je ne me reconnais ni de l’intérieur, ni de l’extérieur et cela me fait peur.   J’ai conscience que tout cela est bien dur, mais il s’agit là de ma réalité. La déprime s’est envahie de moi. elle n’a pas eu peur du crabe celle-là. Je croise les doigts pour qu’elle se barre, qu’elle nous lâche, moi et mon « nibard ». Je fais quelques prières en me demandant bien à quoi cela sert. Mais comme j’ai égaré ma combattivité, c’est le seul truc que j’ai trouvé pour continuer à espérer.  
Oui, malgré mon état qui ne fait pas envie décrit ainsi, je continue à espérer, à croire au jour meilleur qui bientôt va arriver.
J’essaie, comme je le peux, de me concentrer sur les petits bonheurs à venir, mais même ça, la déprime vient les salir : Mon grand garçon prépare sa rentrée : Pffff, c’est trop dur, il va me manquer, Les vacances en famille arrivent d’ici quelques jours : Pfffff, il faut faire des valises, c’est lourd, La chimio est presque terminée : Pffff, c’est seulement une autre étape de passée, pas de quoi s’emballer. Et puis, si c’est pour avoir une déprime en prime, franchement, il faudrait peut-être arrêter de s’acharner. Moi qui ai pour habitude de voir le bon côté des choses, moi qui croyais que c’était une qualité innée que quiconque ne pourrait m’arracher. Je me suis trompée, elle s’est envolée pour laisser place à une vision découragée, parfois même enragée.   Dans quelques jours, c’est mon avant-dernière chimio. Je vais avoir l’occasion de rencontrer l’oncologue qui m’administre ces produits chimiques censés me sauver. J’espère qu’il sera en forme et à l’écoute le monsieur, car je ne vais pas lui épargner mon chagrin. Et si, comme à son habitude, il me répond qu’il ne peut rien pour moi, que c’est comme ça, que parfois ça arrive… ou pas, mais qu’au moins le cancer n’est plus là, je crois que je lui vole dans les plumes à cette poule mouillée qui ne veut pas s’impliquer.   J’ai besoin d’avoir des réponses. J’ai besoin qu’il me dise clairement si l’hormonothérapie est la cause de mes soucis ou si je dois vite aller voir un Psy.  
J’ai besoin d’un plan d’action orienté solutions. Je désire plus que tout au monde vivre le plus longtemps possible, remporter le concours de beaux nichons en vieille maison, mais pas question que ce soit en mode dépression.
  Je ne peux pas rester comme ça, je ne veux pas vivre avec ça en moi. Si ma déprime est provisoire et que je peux garder espoir, alors pas de souci, je veux bien accepter d’être ainsi. Mais si cela doit durer, je dis « non merci ».