Cela fait quinze mois déjà que mon corps tente de faire « ami-ami » avec la prothèse que j’ai accueillie. Il a tenté plusieurs approches pour qu’elle se sente à son aise, qu’elle s’adapte à son environnement très charmant, mais rien ne semble lui convenir suffisamment.

Elle s’acharne à pousser les murs pour sortir de son foyer, à tirer sur les fils pour tenter de s’envoler, à frapper les cicatrices pour les faire lâcher. Chacune de ses tentatives met tout mon corps en douleurs, chacun de ses gestes fait que je la déteste.

J’ai perdu beaucoup de mes plaisirs quotidiens pour conserver cette forme de sein.Je ne fais presque plus de sport, la demoiselle n’aime pas les efforts.Je conduis très peu, chaque fois que je touche le levier de vitesses, elle me blesse.J’évite les bains de foule de peur d’être cognée et qu’elle me le fasse payer.Je ne m’appuie sur rien, je ne porte rien pour éviter de la contrarier.Mais le pire de tout, c’est que je ne prends plus mon mari et mes enfants dans mes bras en les lovant tendrement. Je ne les serre pas contre mon corps aussi fort qu’avant. Oui, depuis des mois, je les câline en maintenant une distance de sécurité qu’elle a fini par m’imposer.

Je porte sur moi la beauté d’un joli néné, je porte en moi une souffrance dont il faut me débarrasser.

Il y a quelques jours, j’ai dit au Docteur ProDuLolo que, malgré son bon boulot, je devais faire face à ma réalité, cette chose ne m’a pas acceptée.Je lui ai dit que je voulais qu’il me répare, qu’il m’aide à prendre un nouveau départ.

Ce Docteur, tout en douceur, m’explique que ce n’est pas la prothèse qui est fâchée contre moi, qui me rejette malgré mon joli minois.Il s’agit bien de mon muscle, celui qui lui sert de fondations qui me fait souffrir. C’est bien lui qui se tend à chacun de mes mouvements, qui se contracte à chacun de mes actes.  Ce muscle a déjà beaucoup souffert lors de mon premier cancer, il a subit plus de quarante séances de radiothérapie. Il est fatigué et irradié. Malgré les années passées, il est encore affaibli, cette prothèse est de trop pour lui.

Je dois me rendre à l’évidence, c’est moi qui veut qu’elle dégage de là, ce n’est pas elle qui ne veut pas de moi.

La solution pour mon nichon est de procéder à « une mise à plat », de le transformer en oeuf au plat. Je me suis effondrée en entendant le Docteur me l’annoncer, mais il me promet des jours meilleurs et me dit de ne pas avoir peur.Depuis toujours, je dis que je ne veux pas vivre dans un corps déséquilibré, que je ne veux pas vivre avec un seul néné.Mon mari, avec moi ce jour là, en reparle de vive voix : « et que fait-on du deuxième sein, même si nous savons que pour l’instant il va bien? »

Il a raison, ce sein va bien, mais nous savons depuis longtemps qu’il est très menacé, que les risques de récidives sont bien présents, que lui aussi pourrait se réveiller et finir par  m’emporter.

Nous n’avons pas mis longtemps pour nous décider : c’est deux oeufs au plat que j’aurai.

Nous disons oui à la mise à plat totale, oui au ratiboisage intégral.Nous disons oui à ma renaissance, oui à ma vie pleine d’espérance.Nous disons oui à des statistiques en ma faveur, oui à un avenir meilleur.

Après quelques jours d’émotion forte, c’est le soulagement qui m’envahit. Dans quelques semaines, je serai débarrassée de mes douleurs et aussi d’une part de mes peurs. Je crois que cela n’a pas de prix, que nous avons vraiment bien choisi.

J’ai un petit mois pour leur dire au revoir à ces deux là.Mon image va changer, je vais perdre un atout naturel de féminité.Mais j’ai confiance en moi, en mon élégance naturelle et ma capacité à me faire belle. D’ailleurs, mon amoureux heureux l’a bien compris lui. Il s’est déjà mis en chemin en m’informant tendrement qu’il allait miser sur mon joli derrière, qui lui n’a pas de cancer…

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