Elle a toujours rêvé de passer sa vie à lire. Se réfugier dans toutes ces histoires qui peuplent ses murs. Tant de pages où les lettres s'enchaînent à sa vue pour lui permettre de rêver. La Donna Rosa tricote le fil de ses journées entre lecture et écriture. Elle se sent beaucoup plus à l'aise dans la lecture. Elle s'offre le loisir de ne pas s'exposer, de pouvoir vivre au retrait et vivre mille vies à la fois. Elle s'isole dans cette maison où l'on oublie souvent le mal que les gens nous font.
Parfois, elle rêve de prendre le large et de toucher le ciel. La Donna Rosa aimerait rencontrer toutes ces âmes soeurs enfermées dans les livres. Lire c'est sans doute fuir...
Ses doigts caressent les pages, les feuilles tourbillonnent, les mots volent. Elle est prise dans ce tourbillon des mots. Les mots des personnages, ce livre entre ses mains se font l'écho de ses
propres maux .
Elle avance comme un funambule sur le fil de la vie. A cloche-pieds, elle avance à pas feutrés.
Que cherche-t-elle à fuir la Donna Rosa?
Son entrepôt de souvenirs, ce bain de crustacés dans lequel un crabe s'est lové, bien masqué sous le rocher.
A l'âge du Christ, 33 ans, c'est un peu tôt cette invitation inopinée. Elle est bien obligée pourtant de l'accepter. La Donna Rosa doit même se battre pour l'en déloger. Comment peut-on s'inviter et s'introduire dans un lieu comme en mille? S'est-il lové sur ce rocher ou a-t-il laissé des pinces à mille lieux? Il faut casser le rocher. Le détruire ou le briser en partie. Et puis ensuite le remodeler.
Tu es brisée Donna rosa. Pourquoi ce corps te trahit? As-tu trop pleuré? Trop jeûné? Trop mangé? Il est vrai que tu ne colorais pas chacun de tes plats de curcuma. Tu ne t'intéressais au chou comme symbole de la naissance d'un garçon. Tu te remémores l'arrivée de ton fils, trois ans plus tôt. As-tu trop pleuré Donna Rosa? Quel serait l'abus responsable de cette invitation inopinée?
Tu observes ton sein. Tu cherches à comprendre, contrairement à Chloé dans L'Ecume des jours de Boris Vian , ce n'est pas une fleur qui rétrécit ton espérance de vie. C'est un crustacé très laid. Il t'offre son ombre sur un cliché, un mauvais classement ACR4, un grade 2. Très vite, tu vas te réfugier dans la lecture. Tu lis beaucoup. Il faut s'informer, s'armer pour lutter.
Tu faibliras Donna Rosa devant ces chiffres alarmants. Tu peupleras tes nuits d'ombres chauves. Tu verras Pierre, parti trop tôt, venu te saluer la nuit.
La Donna Rosa écoute attentivement le seigneur de la confrérie du crabe. Il lui explique la marche à suivre. Cette marche qu'il ne faut pas louper, toi qui titubes déjà Donna Rosa. Le rocher sera cassé et on te promet de tuer les fourmis travailleuses, les bonnes comme les mauvaises, les sincères et les traitres.
Docile, tu accepteras chacune des étapes de cette marche. As-tu vraiment le choix? Tu tentes de chasser cette idée d'une marche funèbre.
La Donna Rosa connaîtra bientôt les missiles de la chimiothérapie. Elle ne sera plus que l'ombre d'elle-même. Devenue un petit oiseau frêle qui a perdu toutes ses plumes, elle oscille sur le fil de la vie. Qui lui donne cette force?
Un petit Piaf de trois ans et demi, l'âge de l'insouciance et de la légèreté, sourit face à cette maman devenue oiseau. Elle espère le voir prendre son envol. Il est si petit ce petit piaf. Quant à elle, frêle damoiselle, peut-elle encore veiller aux premiers sauts et balbutiements de son damoiseau?
Vole petit Piaf. La Donna Rosa t'écrit dans un petit cahier, tous ces mots qu'elle n'aura peut-être pas le temps de te communiquer.
Tu te remémores l'été de tes dix ans. Tu en parais quinze. Les hommes portent sur toi un regard incandescent sur une poitrine naissante. Tu oublies dans ta chambre ce désarroi face au regard d'un homme. Tu subis cette éducation méditerranéenne qui t'enferme dans le huis-clos de ta chambre.
Elle est ton antre, l'endroit où tu dévores les livres.
Tu écoutes en boucle la chanson de Katherine Ringer et tu te déhanches face au miroir sur les paroles de « Marcia Baila »
« Marcia elle est maigre[...]Quel est donc ce froid que l'on sent en toi?[...] C'est le cancer que tu as pris sous ton bras, maintenant tu es en cendres...et même à toi qui est la vie même Marcia, c'est la mort qui t'a emmenée »
Bientôt, tu ne mangeras plus pour faire disparaître les prémices de cette féminité qui te coûte tant.
Blessures, réprimandes et reproches. Tu cherches tes origines, tu utilises cette langue italienne pour renouer un dialogue. Tu perds ta langue pour révéler tes maux du coeur. A mio padre per le parole che non ci siamo detti perché i nostri cuori erano troppo lontani dai nostri occhi.*
Tu attends que ton silence explose. Donna Rosa, tu es handicapée des mots.
Handicapée, tu en as le statut, c'est écrit sur un papier alors tu te butes à l'administration. Tu veux apprendre aux enfants le bonheur de lire, découvrir et partager toutes ces histoires. Tu veux renouer avec la vie mais sache Bella Donna Rosa que lorsque tu croises un crabe sur ton chemin, tu fais peur. Et puis, sais-tu que tu embêtes ton monde avec ta volonté de travailler? Reste dans ton coin avec tes deux valises de malheur. Tu vas apprendre à vivre avec cette peur et tenter de l'oublier.
Lis Donna Rosa, plonge-toi dans toutes ces vies inventées ou magnifiées au coeur des pages.
Chaque jour, tu te demandes si tu ne t'es pas transformée en une gigantesque plage. Chaque matin, tu analyses tes rivages et palpes les rochers qui affleurent près de ton coeur. Et si le crabe revenait se cacher? Oublie Donna Rosa. Tu dois tourner la page. Peut-être parviendras-tu à tourner cette page en noircissant d'autres feuilles blanches?
Tu observes les deux photos. Tout d'abord celle où tu accompagnes ton fils main dans la main sur le chemin de la vie. La route te paraissait si longue et toute dessinée. Et puis, tu poses ton regard sur cette photo face à la mer, tu avais promis à ton fils d'observer un coucher de soleil après ces longs mois de solitude. Tu as retrouvé tes boucles. Petit Piaf a grandi entre ces deux photos. Tu imagines déjà celle où ton fils aura atteint ta taille, tu espères être toujours à ses côtés.
Tu sembles être Donna Rosa dans un conte de fée, à l'heure de l'épreuve, captive d'un crabe sous le rocher. Sache, mais je ne t'apprends rien, que dans le puit des épreuves il y a un soleil.
C'est ainsi dans les contes et dans la vie.