Chaque fois que j’entends « je t’aime maman, tu es trop forte maman, tu es si belle maman, tu es une bonne maman », je me sens légère et fière. Je me dis que j’ai réussi à leur transmettre l’amour, la confiance et la capacité à exprimer leurs sentiments sans retenue. Mais cette semaine j’ai regretté cette liberté de parler. J’ai entendu une petite phrase qui m’a achevée.  
Ma jolie ado de 13 ans, aussi mature et lucide que bien des adultes, m’a dit « tu sais maman, faut pas se leurrer, moi aussi un jour j’aurai un cancer, c’est écrit, c’est dans les gènes, c’est comme ça ».
Je ne regrette pas qu’elle ait parlé, je regrette que cette phrase existe, qu’elle soit réalité. Je ne regrette pas qu’elle se soit confiée, je regrette ce que je lui ai répondu…   – « Mais non, ma fille, tu n’auras pas de cancer. Tu sais que j’ai fait les tests génétiques et qu’ils sont négatifs. Ça n’est pas dans nos gènes. Tu n’auras pas de cancer. »   – « Maman, ça n’est pas génétique, mais c’est héréditaire, tous les docteurs le disent. Je te dis que c’est sûr, moi aussi j’aurai un cancer un jour. Mais il ne faut pas inquiéter, je n’ai pas peur et puis les recherches et les traitements auront encore progressé d’ici là ».   – « Mais non ma fille, ça n’est pas parce qu’il y a une forme d’hérédité, que tu es condamnée à avoir ce fichu truc un jour dans ta vie. Peut-être que je ne te l’ai pas transmis, peut-être que j’ai bien travaillé et que tu n’as de moi que les bons côtés. »   C’est si dur de voir son enfant imaginer le pire pour son avenir, de la voir le dire sans soupir et sans colère envers moi. Elle me le dit froidement et simplement comme une forme de fatalité. Elle n’a pas peur, elle n’est pas triste. C’est juste comme ça, c’est la vie.  
Je ne regrette pas qu’elle soit aussi libre et cash avec moi, je regrette un instant d’être sa mère. Avec une maman sans cancer, sa vie serait plus légère.
Je ne regrette pas qu’elle n’en ait pas peur et qu’elle ne m’en veuille pas, je regrette que ce soit intégré dans son esprit comme si c’était acquis.   J’en veux au « caractère héréditaire ». Il ne signifie rien de concret, il ne donne aucune ligne de conduite. Au moins, si c’était génétique, au saurait quoi faire, on connaîtrait les risques, on pourrait agir. La seule chose que l’on sait, c’est qu’à compter des ses vingt ans, un contrôle annuel devra être effectué. Nous n’aurons qu’à croiser les doigts chaque fois.   J’en veux au « caractère héréditaire ». Il lui fait croire qu’un jour, elle aura un cancer. Je sais qu’elle est fière d’être une « mini moi », qu’elle est aux anges lorsqu’on lui dit qu’elle ressemble à sa maman.   J’en veux « au caractère héréditaire ». Je veux qu’elle ressemble à son père, qu’il lui transmette sa force et sa santé. Je veux qu’elle vive libre et apaisée.  
Je suis condamnée à espérer qu’elle ne me ressemble pas. Nous sommes condamnés à prier pour que ce crabe ne se radine pas . Elle est condamnée à vivre avec des doutes qu’elle ne contrôle pas.
« Maman, un jour j’aurai un cancer ». Cette petite phrase, j’ai l’ai reçue en plein coeur. Je ne peux pas lui affirmer qu’elle a tort car je ne le sais pas. Et puis, elle ne me croirait pas et détesterait que je lui mente comme ça. Alors, il faut que je fasse tout ce qui est en mon pouvoir pour adoucir son esprit.   Je dois lui montrer que je vais m’en sortir. Je dois lui dire que quoi qu’il arrive, elle aura une très belle vie. Je dois accepter de parler du cancer avec elle lorsqu’elle en a envie. Je dois la prendre dans mes bras comme je le fais déjà. Je dois l’aimer, l’aimer et encore l’aimer cette jolie adolescente si brillante et pétillante.