Essoufflée comme une mémé, je me suis traînée à mon huitième rendez-vous avec la thérapie ciblée.
Je n’en peux plus, je la déteste, elle me fatigue, elle me dégoûte.
Elle ne semble pas méchante quand on la voit dans sa petite seringue transparente. Elle est presque jolie comparée aux tuyaux et sachets de chimiothérapie. Et puis, tout le monde le dit, elle est bien moins violente et ne donne pas mal au ventre.
Mais moi, je n’en peux plus, je la déteste, elle me fatigue, elle me dégoûte.
Cette jolie piqûre s’attaque à mon coeur. Petit à petit, elle l’affaiblit. Il bat courageusement mais moins efficacement. Je cherche mon souffle de plus en plus souvent. Marcher ou parler, je dois choisir. Cuisiner ou rigoler, je dois décider. Prendre ma douche ou chanter, je dois me résigner si je ne veux pas trop m’épuiser.
Je n’en peux plus, je la déteste, elle me fatigue, elle me dégoûte.
On la dit plus douce, mais ce qu’on n’avoue pas c’est qu’elle fait quand même des dégâts. Quand elle me pique, ses premières gouttes me crispent. Quand elle me quitte, c’est bien deux semaines que ma cuisse garde ses traces. Quand elle agit, c’est tout mon corps qu’elle affaiblit au point de laisser un rhume me coucher sur le bitume.
Je n’en peux plus, je la déteste, elle me fatigue, elle me dégoûte.
Elle me vole mon air, mon souffle, mon énergie. Elle pompe mon enthousiasme, mon air enjoué, ma volonté. Je redoute les six prochaines fois car j’ai peur qu’elle me coupe le souffle pour toujours et qu’elle s’empare de moi.
Je sais bien que cela ne peut pas arriver, que les médecins surveillent de près les bobos qu’elle me fait. Mais voilà, elle a volé, telle une pie, mes talents les plus étincelants. Je n’ai plus confiance, je n’ai plus envie.
Je n’en peux plus, je la déteste, elle me fatigue, elle me dégoûte.
Cet oiseau de mauvaise augure, je voudrais qu’il se prenne les ailes dans mon éolienne. Je voudrais lui montrer que c’est moi la propriétaire de mon air. Je voudrais gagner la course quoi qu’il me fasse.
Et ce que je veux, j’aurai…