Quand la « petite histoire » rencontre un engagement professionnel fort, cela donne « onCOGITE » une méthode créée pour et avec les patients ayant des troubles cognitifs. Rencontre avec sa responsable scientifique, Véronique Gérat-Muller, qui n’est pas seulement psychologue spécialisée en neuropsychologie. C’est aussi et surtout une maman heureuse.

Les troubles oncocognitifs, ou oncobrain, c’est quoi ? 

A l’origine, c’est de cette façon que l’on qualifiait les plaintes cognitives des patientes suivies pour un cancer du sein dans les années 90, consécutives à leur chimiothérapie. Aussi appelé ChemoBrain1, ce sont des troubles qui viennent perturber les fonctions cognitives des patients : les processus de mémorisation, de traitement des informations, d’organisation des pensées.  Ce ne sont pas des troubles intellectuels, liés à une déficience de l’intelligence mais une altération des processus qui permettent la mobilisation de l’intelligence dans une dynamique souple et fluide. Avoir des troubles cognitifs ne signifie pas que l’on est devenu idiot !

Quelle est leur origine ?

On les a, dans un premier temps, attribués à l’annonce et au choc émotionnel provoqué par le diagnostic d’un cancer. On pensait donc que ces troubles étaient réactionnels à une dynamique anxio-dépressive. Il a fallu que ces plaintes soient mises en lien avec l’administration de traitements chimiothérapeutiques pour que des recherches démontrent le lien de causalité entre la chimiothérapie et certaines conséquences structurelles et fonctionnelles sur le cerveau, grâce à l’imagerie cérébrale. Les recherches se poursuivent actuellement afin d’explorer les séquelles entraînées par l’ensemble des traitements oncologiques (thérapies ciblées, immunothérapie). 

Quel est le pourcentage de patients concernés ?

Il est encore difficile de répondre à cette question précisément car les outils normés d’évaluation actuels ne sont pas adaptés à ces troubles, que l’on qualifie de subtils ou de diffus (ce qui ne veut pas dire qu’ils ne sont pas gênants). Aussi, ces évaluations sont-elles affinées avec la plainte cognitive exprimée des patients. Néanmoins, il est raisonnable de penser qu’environ la moitié des patients peuvent être concernés.

Comment savoir s’il s’agit vraiment de ce type de troubles ? 

Idéalement, le diagnostic devrait être posé par un neuropsychologue expert dans ce domaine, car l’examen nécessite de connaître la véritable nature de ces troubles afin de les évaluer correctement. Or, les outils actuels ont été créés pour une population de patients cérébrolésés. 

Par ailleurs, certaines patientes présentaient des troubles préexistants méconnus car ils étaient compensés par des stratégies efficaces inconscientes. Ces troubles se sont révélés après les traitements, soit parce que les stratégies de compensation n’étaient plus opérantes, soit parce que ces patients ont été débordés par le cumul des troubles, anciens et séquellaires des traitements, et/ou la fatigue induite. On sait également que certains patients résisteront mieux aux effets des traitements (facteurs génétiques ou bonne réserve cognitive). Il existe donc des batteries de tests dont l’analyse devra être approfondie, les résultats croisés, afin d’évaluer la spécificité de ces troubles.

Une fois le diagnostic posé, comment prendre ces troubles cognitifs en charge ?

Il y a quatre axes à privilégier. Le premier, que nous essayons d’éviter, est médicamenteux. Néanmoins, il est important de ne pas négliger l’impact de la douleur, ou d’une dépression réactionnelle et légitime à la suite des ces longs mois de stress et donc de proposer un traitement si nécessaire. Le second axe est l’activité physique adaptée. Elle a tout juste ! Notamment les activités d’aérobie d’intensité modérée comme marcher, courir, faire du vélo, nager, danser… En plus de lutter contre la fatigue, elles favorisent les interactions sociales. Troisième axe, les thérapies cognitivo-comportementales (méditation2, sophrologie3). Et pour terminer, un parcours de remédiation cognitive. C’est ce que propose onCOGITE à des groupes de 10 à 12 patients. 

De quoi s’agit-il ? 

Pour faire simple, disons que c’est de l’aérobic neuronal ! Plus sérieusement, il s’agit d’un accompagnement neuro-psycho-thérapeutique qui comprend plusieurs axes : l’éducation thérapeutique ou la psychoéducation : comprendre le fonctionnement de son cerveau, les troubles auxquels on a à faire face, les stratégies comportementales et environnementales à adopter, et de la stimulation cognitive. Les ateliers sont assurés par des professionnels experts en neurosciences, formés à la méthode.

Que peut-on en attendre ? 

Le but des ateliers n’est pas de réussir chaque exercice proposé mais bien de remettre en marche le cerveau et de retrouver un certain confort de travail. Il s’agit de mettre le cerveau en action, pour recréer de nouvelles connexions neuronales en travaillant de façon intensive. Mais aussi user de stratégies pour progresser. Et comme pour les jeux olympiques : l’essentiel n’est pas de gagner, mais de participer !

Comment s’inscrire à un atelier ?

En allant sur notre plateforme via le site www.oncogite.com. Après avoir régularisé une adhésion de 20€, les patients accèdent gracieusement à un parcours dont le coût est en fait de 350€. Il existe 47 ateliers (créneaux horaires), en visio pour la plupart, permettant de suivre les séances hebdomadaires depuis chez soi via zoom. Il suffit de choisir le jour et l’heure de sa séance et de s’inscrire.

Combien de séances faut-il envisager pour constater une amélioration ? 

L’important n’est pas tellement le nombre de séances mais la régularité et l’engagement hebdomadaire dans ce parcours. Nous proposons 20 séances mais un parcours de 15 séances, qui représente la durée moyenne du parcours de nos patients, permet normalement de retrouver un confort cognitif au quotidien, et une meilleure qualité de vie.

Ces difficultés cognitives peuvent-elles disparaître, à plus ou moins long terme ? 

Nous avons l’expérience de résolution spontanée après la fin des traitements lourds. L’imagerie cérébrale montre une récupération en termes de volume de la substance blanche et grise, donc au niveau structurel. Néanmoins, ces difficultés peuvent perdurer plusieurs années en lien avec l’hormonothérapie, l’immunothérapie, et tout un contexte qui peut les confondre ou les amplifier (fatigue, troubles anxio-dépressifs, troubles du sommeil, isolement) qu’il ne faut pas négliger.

Avez-vous mené des études montrant l’efficacité de cette prise en charge ?

Un étude randomisée menée sur 164 patientes est en cours, afin d’évaluer l’efficacité de ce parcours thérapeutique. L’objectif étant qu’un niveau de preuve suffisant permettrait d’envisager la prise en charge financière de ces troubles séquellaires dans le parcours post-cancer. Actuellement la sécurité sociale rembourse une prothèse capillaire à hauteur de 270€. On ne peut pas imaginer que l’on ignore encore aujourd’hui la nécessité de s’occuper de ce qui se passe sous les cheveux des patients qui souhaitent reprendre le cours d’une vie sociale et professionnelle !

Que peut-on faire chez soi, pour « réparer » son cerveau, pour cogiter… sans trop se prendre la tête ? 

On peut dresser des listes de séries de 3, 4, 5, 6 ou même 7 chiffres ou lettres… Après lecture, les rappeler, dans le même ordre, ou ordre inverse, ordre croissant, décroissant, alphabétique. Attention, le travail se fait mentalement ! On peut écouter une émission de radio et compter mentalement le maximum de mots contenant le son [i] ou [u]. On peut encore trouver des jeux de société, mots croisés ou autre sudoku bien sûr, ou encore des petites applications de stimulation que vous trouverez sur le Store de votre téléphone. Mais attention, cela ne remplacera jamais un véritable programme avec un professionnel expert et dans un groupe de pair : l’interaction sociale est un élément indispensable.

Pour terminer, comment avez-vous eu cette idée… géniale ?

Disons, pour la « petite histoire », que c’est « grâce » à la leucémie de mon fils Marceau, âgé de 8 ans en 2011 – il va très bien aujourd’hui ! –  qui, après ses traitements, a présenté des troubles cognitifs importants. Alors que je travaillais depuis de nombreuses années en oncologie, j’ignorais la lourdeur de ces troubles que les patients enduraient dans la solitude, silencieusement, avec un sentiment de honte. Face à ce que la vie nous impose parfois, et avec laquelle on compose, j’ai cherché ce que cette expérience me proposait, la responsabilité que la vie me confiait. Et si c’était de créer pour « mes » patients, un endroit où s’occuper de ces troubles que je découvrais ? Comme il n’existait pas d’outils pour cela, tout était à inventer ! Il fallait « juste » s’y mettre… C’est de cette façon que les professionnels de cancérologie améliorent leurs approches, en fonction de certaines découvertes permettant de faire avancer la prise en charge. 

Le chemobrain… avec des mots simples  

« Avant, vous faisiez du vélo et vous étiez capable de monter une côte. Raide parfois. Même si vous y arriviez essoufflé, en nage, ou même en ayant posé 4 fois le pied par terre, vous y arriviez… Maintenant, c’est devenu impossible. Vous avez perdu vos muscles, votre endurance. On va retravailler cela : l’endurance, et se remuscler… avec de l’aérobic neuronal ! Et en plus on va apprendre à se servir du dérailleur du vélo dont vous n’aviez pas besoin avant : mise en place de stratégies ! ». 

V. Gérat-Muller

Propos recueillis par Céline Dufranc

1 vient des mots anglais chemo (chimiothérapie) et brain (cerveau) ou fog (brouillard)
2 vous pouvez pratiquer la méditation en vous joignant à un groupe associatif ou par vous-même, en vous appuyant par exemple sur des applications comme « Je me Pause », « Bulle » ou encore « Petit Bambou ».
3 Trouver un sophrologue

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