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« Témoigner procure du sens à sa propre existence et permet à d’autres d’en tirer avantage. »
Philippe Bataille, sociologue
J’écris du monde des malades, de ceux qui, un jour, ont dû regarder leurs enfants dans les yeux et leur dire : maman à un cancer, j’écris du monde de ceux qui ont laissé l’insouciance un mois de juin aux portes d’un centre anti-cancer, j’écris du monde des amputés, de ceux en mauvaise santé, de ceux en arrêt de vie, de ceux que le crabe à fauché ou fauchera, j’écris du monde de ceux qui fréquente le kiné, osteo, qui savent ce qu’est un Pet Scan, un angio scanner, une IRM, j’écris du monde des bras perfusés, bleuis par les piqures, les veines en vrac, j’écris du monde de ceux qui font semblant parce que faire semblant c’est déjà faire.
J’écris pour ceux qui demandent si tu es guéri, j’écris pour ceux qui voudraient que la maladie se voit dans tes yeux, qu’elle se voit sur une tête chauve, qu’elle se voit par un corps décharné : j’écris pour ceux qui pensent que ca c’est un vrai cancer. J’écris pour ceux qui savent mieux parce que la voisine du beau frère à eu le même.
J’écris pour les bras de l’amour qui sauvent, pour celle qui comprend tout, pour celui qui a peur, pour celles qui font sourire, pour celles qui t’aiment, pour ceux qui comprennent, pour les prières des unes, pour les messages des autres, pour le soutien quand on tombe, pour rire aux blagues, j’écris pour la dernière dans un soir de février, pour la dernière cigarette, pour la prochaine, j’écris pour les confidences qui continuent, pour celle qui partage la séance de ciné, pour celui qui n’abandonnera jamais, j’écris pour vos pensées, vos messages et vos lumières.
Je ne vous ferai pas l’offense de vous expliquer ce qu’est un cancer, d’abord parce que je ne suis ni oncologue ni cancérologue, que chaque cancer est différent et que chaque malade fait bien comme il peut avec son cancer.
Oui SON cancer, pas celui du voisin ou de la copine éloignée, pas celui de la vieille tante ou de la femme du boulanger.
Alors je vais vous parler du mien, de la réalité d’un mot, de la puissance d’un diagnostic, de l’abime et des ténèbres, de la mort associée : ça fait peur à entendre, ça fait peur à lire : rassurez-vous ce ne sont que des mots : le ressentir dans sa chaire est plus impressionnant.
On n’a pas dit grippe du sein
On n’a pas dit kyste, ou ganglion ou mal au sein
On n’a pas dit : ce n’est pas grave
On n’a pas dit : ça se soigne bien
On n’a pas dit c’est un petit cancer
On n’a pas dit ne vous inquiétez pas
On a dit c’est un cancer : on ne peut pas sauver votre sein
On a dit c’est un cancer : il faut stopper ce que vous faites, ce que vous faisiez, ce que vous ferrez : c’est une chirurgie lourde et on laissera votre torse clos : cicatrice éternelle
On dit c’est un cancer : la récidive est votre nouveau fardeau : vous fabriquez des tumeurs
On dit il faut opérer le cou : le mal est sans doute encore là : 33 jours d’attente, 33 jours en alerte, 33 jours c’est long bordel !
On dit il faut marcher : longtemps, beaucoup chaque jour sans pause ni repos : je suis si fatiguée de marcher
On dit arrête de fumer ou on te laisse avec ton amputation
On a dit : arrête le sucre, si tu prends du poids on te laisse avec ton amputation
On a dit manger assez : si tu perds du poids on te laisse avec ton amputation
On dit frotte ta cicatrice chaque jour si elle se colle : on te laisse avec ton amputation
On a dit ne travaille pas trop mais travaille quand même oui mais pas tout de suite ou alors pas comme avant, si tu es fatiguée on te laisse avec ton amputation
On a dit, vous devrez ingérer votre poison chaque jour : poison qui annihile la femme, qui transforme les muscles en verre, qui creuse les sillons de la peau, qui arrête le sang pour laisser la place à la vieille dame, qui élargie le ventre et les hanches : mais poison qui protège car le cancer fait mourir : tu n’as pas envie de mourir n’est-ce pas ?
On a dit ton bras tu ne lèveras plus à force d’avoir creusé sous l’aisselle pour ne pas laisser le mal envahir on a bloqué le bras : pour 6 mois ou pour la vie…on ne sait pas : pour l’instant serrer la main fait souffrir, tirer une porte fait souffrir, porter un sac dos fait souffrir, porter un bébé fait souffrir, prendre dans les bras fait souffrir.
On a dit dans plusieurs années tu auras peut -être un ersatz de sein : il faudra 5 opérations : on viendra déchirer le ventre, on fera une cicatrice de 40 cm, tu seras immobile 45 jours, puis on viendra corriger le sein saint, puis on opérera pour une aréole, puis on opérera encore pour équilibrer puis on opérera encore un demi-mamelon.
On a dit tu seras surveillée, il y a un risque au sein gauche, il y un risque aux ovaires, il y a un risque sur la thyroïde qui reste : il y a un risque… : dormez sur vos 2 oreilles il y a un risque…
Alors tu feras : tu ne veux pas mourir n’est-ce pas…
Myriam