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« Témoigner procure du sens à sa propre existence et permet à d’autres d’en tirer avantage. »
Philippe Bataille, sociologue
Accueil L'art de consoler
(Christophe André - Crédit photo Florence Brochoire)
Confronté à un cancer du poumon en 2015, le psychiatre Christophe André a senti la puissance consolatrice de la main d’un soignant saisissant la sienne. La force de la nature qui répare. Celle de la musique qui apaise. Des animaux qui réconfortent. Et des proches qui vous aiment. Autant de consolations qui permettent de relever la tête et de se jeter dans les bras de la vie. Voyage autour des mots avec un homme apaisé et plus heureux de vivre encore.
Après l’annonce de mon cancer du poumon, avant d’en parler à mes proches, j’ai eu besoin de m’isoler dans le jardin de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière. Je suis resté assis près d’une heure sur un banc pour essayer d’accepter cette adversité. J’ai respiré profondément et je me suis dis à moi-même : « Tu vas devoir faire avec ce cancer. Laisse-toi un peu de temps pour digérer. Pour souffler. Et prépare-toi à affronter cette maladie ». Bien sûr, ensuite, mes proches se sont vite manifestés et leurs attentions et marques d’affection, petits mots, sms, visites, m’ont beaucoup touché.
La consolation peut nous être apportée par les animaux. L’animal, comme la nature, est d’une tranquille indifférence à nos maux ; ou en tout cas à une partie inutile de nos maux : indifférence à leur signification, à leur portée, à nos dramatisations et à nos scénarios intérieurs, inquiets et sombres. L’animal voit seulement notre détresse et il est alors capable d’intentionnalité affectueuse. La consolation peut également venir des animaux sauvages ; le réconfort, par la contemplation du mouvement des oiseaux ou de celui des insectes. Parce que nous sommes absorbés par ce que nous voyons et renvoyés à la puissance du vivant.
La poésie, la littérature et la musique, la beauté de l’art, ces « ravissements tristes », nous consolent d’abord en captant notre attention et en la détournant un moment de nos souffrances. Antalgique, l’art nous permet de nous exfiltrer de notre douleur, de nos angoisses, en nous faisant éprouver des émotions agréables. On fait corps avec les émotions de l’artiste. On se sent moins seul en plongeant notre regard dans un tableau, en s’immergeant dans un récit fort, beau, frappant, ou en écoutant une musique qui nous touche. C’est l’objet du livre Le pansement Schubert écrit par la violoncelliste Claire Oppert. En jouant pour les enfants autistes, les malades souffrant d’Alzheimer ou les patients en soins palliatifs, elle les console en leur mettant de la joie, au moins un tout petit peu de joie, dans le cœur. Ne serait-ce que le temps d’un morceau de musique. On sait grâce à la science qu’écouter une musique que l’on apprécie entraîne la libération de dopamine ou d’ocytocine dans le cerveau, neurotransmetteurs associés au plaisir ou à l’attachement affectif.
Comme pour la thérapie, le plus important, c’est ce que le patient va faire seul, entre deux séances. Au départ, c’est capital d’être consolé par les autres, même à distance. D’accepter de recevoir ce don. De sentir que l’on compte pour eux, que l’on n’est pas seul au monde. Mais à un moment, il faut se remettre en lien nous-même avec la vie quotidienne, les auto-consolations : la nature, la musique, les animaux… Il faut se divertir, au sens étymologique du terme, pour se détourner de notre chagrin. La consolation est partout. Chacun a sa méthode : bricoler, jardiner, courir, danser, voir un grand film, prier, méditer… La plus simple étant de marcher. Mais personne ne fera le chemin à notre place.
Tout au long de notre parcours, même si l’on est en colère, il faut aussi pouvoir faire preuve de bienveillance envers soi-même et essayer de se faire du bien. Se féliciter du chemin parcouru. Se parler gentiment. Comme on parlerait à quelqu’un que l’on aime. La psychologie positive nous enseigne que la gratitude se cultive par de petits exercices qui n’ont de naïf que l’apparence : tous les soirs en s’endormant, songer au bien qu’on nous a fait dans la journée, aux sourires, aux conseils, aux aides… Cela fonctionne très bien.
Pour sortir une personne de son isolement, on peut créer une chaîne de consolation. Chacun laisse un message par jour, ou un petit geste, un gâteau, un livre, une proposition de sortie… Et un jour arrivera où la personne dira « oui » à une balade, à un petit coin de ciel bleu. Toute consolation a un effet retard : même si elle semblait inutile sur le moment, elle suit toujours un chemin souterrain qui finira par faire du bien. Comme l’écrivait Zola, « rien n’est jamais fini, il suffit d’un peu de bonheur pour que tout recommence ».
Il y a des mots plus forts que d’autres, par ce qu’ils font naître en nous. C’est le cas de la consolation. Du latin consolari, étymologiquement cela signifie : rendre au souffrant son entièreté, réparer sa partie blessée, le remettre en lien avec les autres. Ce mot évoque l’enfance et les petits chagrins, mais aussi la mort et le deuil, toutes les peines humaines ; et toutes les mains tendues, tous les câlins, tous les gestes d’affection et de consolation.L’ambition de la consolation est plus vaste, plus haute et va plus loin dans le temps que le réconfort, qui soulage dans l’instant présent. Ce qui est déjà précieux et merveilleux. Ce n’est pas une recherche de solutions ayant pour objectif de modifier le réel (comme le ferait une solution) mais plutôt d’alléger le sentiment de souffrance, de faire du bien à la personne et de l’aider à continuer de vivre. C’est à la fois ce qui console – l’affection de nos proches, l’action qui nous étourdit, la vie qui nous distrait, si l’adversité est mineure – et le cheminement, le processus qui nous fait passer de la peine au souvenir de la peine, de la désorientation à la compréhension, de la solitude au lien, de la plaie à la cicatrice… La consolation n’est pas une réparation magique, elle est comme une lumière qui s’invite dans l’obscurité et qui nous permet d’apercevoir les formes encore floues d’un monde à venir qui serait vivable, simplement vivable.
Consoler, c’est d’abord un aveu d’impuissance. On n’a pas de prise pour changer le réel. On a peur d’être maladroit. De ne pas avoir les mots justes. Néanmoins, d’une façon générale, la présence est supérieure à l’absence et la simplicité est supérieure aux longs discours. Ce qui est sûr, c’est qu’il faut faire preuve d’humilité et de prudence. En établissant un lien. En prenant son temps. Les réactions peuvent être très différentes. Certains ont besoin d’être entourés, d’autres préfèrent être seuls. Plutôt que de grands discours, on peut simplement dire « dis-moi ce que je peux faire pour toi ». Si la personne est valide, on peut lui proposer une balade. Si elle est alitée, la lecture du journal ou d’un livre. Si l’on sent qu’elle n’est pas prête, on lui fait comprendre que l’on sera toujours disponible pour elle. Il ne faut pas forcer les choses.
« Contempler simplement la vie qui va peut nous consoler
Devant une personne qui semble déprimée, épuisée émotionnellement, qui n’a plus le goût de la vie, il ne faut pas hésiter à prendre un avis médical pour un éventuel traitement. Car la dépression frappe souvent après un cancer. Le pire étant de rester seul, de se replier sur soi-même avec ses angoisses et ses inquiétudes. Dès qu’on le peut, il vaut mieux sortir, aller marcher avec son chagrin, son découragement, son insécurité… sans but. Juste mettre le nez à la fenêtre et regarder le ciel. Même si de prime abord cela ne nous attire pas et que cela ne nous transforme pas de manière spectaculaire. Le mouvement, c’est la vie.
Dialoguer avec le papier, écrire noir sur blanc ce que l’on ressent est bénéfique et thérapeutique. Je conseille de tenir un journal de bord dans lequel on note ses inquiétudes mais aussi tous les petits moments sympas de la journée, comme la petite blague de l’infirmière, le beau ciel bleu du matin… C’est comme un dialogue doux, à notre rythme, avec une personne inconnue lointaine, silencieuse, bienveillante, patiente…et consolante. Toutes les études montrent que mettre en mots nos périodes de vie douloureuses aide à leur cicatrisation et apaise les émotions négatives. Le seul fait de les noter montre déjà que l’on en prend conscience.
Il arrive que l’on se renferme sur sa maladie, devenue le centre de gravité. Cette adversité provoque une succession de ruptures de liens et isole. Rupture avec son corps d’abord, qui nous trahit en fabriquant lui-même quelque chose qui va peut-être nous tuer. Rupture avec les autres qui, contrairement à nous, vont bien et sont protégés. Rupture avec le monde. Les petits et grands bonheurs, c’est fini pour nous ! Là encore, il ne faut pas forcer les choses mais amener la personne qui a perdu son insouciance, à s’exposer au mouvement de la vie. A se remettre à accueillir ce que la vie a de bon. Patiemment.
Être confronté à la maladie grave, me sentir menacé, vulnérable, je l’ai vécu. Cela marque la fin de l’insouciance. En entrant dans le cycle de l’attente et de l’angoisse des résultats, de l’annonce du diagnostic, j’ai compris que je pouvais mourir beaucoup plus tôt que prévu. J’ai eu besoin d’être rassuré. Consolé. Et cela m’a ouvert les yeux : j’ai réalisé alors que j’avais soigné, encouragé, réconforté et voulu guérir mes patients sans vraiment les consoler.
Parmi les actions les plus simples et les plus réconfortantes figure la marche : elle nous fait revenir au primitif, à l’essentiel, à l’instant présent. Elle est un soulagement au début, puis une vraie consolation si l’on s’abandonne, dans l’instant, dans chaque pas. Elle détourne l’attention d’un soi immobilisé dans la souffrance vers un sol qui avance. Elle apaise l’inconfort des émotions par la répétition hypnotique des pas. Elle transporte au-dehors et contraint à regarder autre chose que les murs de son refuge.
Méditer ne règle pas les problèmes mais nous aide à les regarder en face, dans l’apaisement et le discernement : c’est de là que vient la consolation. L’idée c’est de parvenir à fixer notre attention sur quelque chose de calme et régulier, comme notre respiration par exemple. On se contente d’observer les mouvements de notre souffle, l’air qui entre à l’inspiration, qui sort à l’expiration. Si notre esprit vagabonde, on revient sur sa respiration. Il n’y a pas de but à atteindre, simplement à se poser dans l’instant présent : ce refuge qui n’est pas une illusion. En plus de nous apaiser, cela nous aide à voir le chagrin et la détresse pour ce qu’ils sont : des états mentaux passagers. Qu’on laisse s’envoler comme des nuages.
J’ai conscience que la rechute arrivera peut-être un jour. C’est un héritage de la maladie. Alors, je me raconte cette histoire : « tu ne sais pas combien d’années tu vas vivre donc il faut les vivre au mieux. Dans l’intelligence et dans la joie. Ne gaspille pas le temps. La vie est une chance : jette-toi de toutes tes forces dans ses bras ».
J’ai découvert la magie de la consolation des soignants. Cet aspect essentiel du soin à la personne, au-delà des traitements, que l’on espère les plus efficaces possibles : un regard qui s’attarde sur vous, le sourire chaleureux d’une aide-soignante, une main posée sur la vôtre… Ces petits gestes remettent de la vie là où il n’y en a plus, redonnent de l’oxygène, de l’espoir. Au contraire, quand on a l’impression d’être seulement une pathologie, un terrible sentiment de solitude s’infiltre dans vos cellules. On raconte que le neurologue français Raymond Garcin rappelait souvent : « La base de la médecine, c’est l’amour ». Il citait volontiers, à ce propos, la réponse du Prix Nobel de médecine Charles Nicolle à un collègue qui déplorait l’abattement d’un patient : « Lui avez-vous pris la main, au moins ? »
Sourire ; même si l’on se sent triste. Ne rien attendre du sourire, juste sourire. Suffisamment longtemps, légèrement, discrètement. Il n’est pas nécessaire que le sourire se voit de l’extérieur. Faites-le et observez les effets : cela augmente (un peu) notre bien-être. C’est ce que l’on nomme en langage savant une boucle de rétroaction. Et toutes les études confirment que ce n’est pas une illusion mais une réalité, cette action douce du sourire sur notre humeur.
Pendant toute ma carrière de médecin, j’ai beaucoup développé les thérapies de groupe pour mes patients et j’ai remarqué que le fait de rencontrer des personnes traversant les mêmes difficultés était un grand réconfort. On peut se donner des conseils, se sentir moins seul, trouver des paroles d’une justesse que les soignants, même bienveillants et expérimentés, ne peuvent offrir. La parole des autres patients, ni banalisante, ni culpabilisante, est inspirante. C’est formidable !
La maladie peut nous transformer, nous enrichir, nous rendre plus lucides, si nous saisissons son rappel à l’ordre : « tu vas mourir un jour, et peut-être plus tôt que prévu. Que comptes-tu faire de la vie qui te reste ? Vas-tu la passer à t’inquiéter, à travailler jour et nuit, à ruminer ? Ou au contraire, prendre conscience que la vie est belle, simplement parce qu’elle est la vie, sans autre condition nécessaire. Et en faire le meilleur usage possible : en sachant prendre tous les bonheurs de la vie comme des réconforts précieux pour les malheurs passés, et en les savourant aussi par avance pour les malheurs qui viendront peut-être ». Des études montrent qu’au-delà de récupérer, on peut sortir enrichis d’une expérience douloureuse et vivre mieux qu’avant. C’est ce que l’on appelle la « croissance post-traumatique ». A titre personnel, la maladie m’a décidé à avancer mon départ en retraite. A réorganiser ma vie. A ne pas gaspiller le temps. Aujourd’hui, je me partage entre Paris et les embruns de l’océan breton. J’écris. Je me sens vivant.
Propos recueillis par Céline Dufranc
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