Pour célébrer ses 10 ans d’existence, Chaîne Rose a invité plusieurs de ses contributeurs/rices à raconter tout le chemin parcouru depuis leur premier témoignage. A nous confier ce que témoigner leur avait apporté. Ce que le cancer leur avait révélé d’eux-mêmes… Grâce à vous, aujourd’hui plus que jamais, Chaîne Rose représente une communauté engagée, solidaire et inspirante.

La vie ne tient qu’à des rencontres quand les portes sont poussées

Que vous a apporté le fait de témoigner dans Chaîne Rose ?

Une année s’est écoulée depuis la publication de mon histoire, et aujourd’hui comme une coïncidence de la vie, je témoigne de cette année passée à l’approche de mon second armistice, pour les 10 ans de Chaîne Rose. Le 7 décembre prochain sera pour moi la fin d’un Koh Lanta de plus de 3 années où je vais enfin recevoir le totem de l’immunité. Je ne compte pas valider la règle du jamais 2 sans 3 dans l’histoire de la cancérologie ! Je m’arrêterai à 2 et je n’ai toujours pas gagné au loto !

Décembre 2021 : fin d’année au lycée et petit moment spa avec ma fille Juline, première couleur végétale chez ma coiffeuse.

Avoir pu écrire ce que j’ai traversé dans Chaîne Rose l’année dernière, était une évidence. Partager les mots forts des docteurs, les aléas d’un système qui trop souvent nous classe dans une statistique normée, montrer qu’à l’impossible nul n’est tenu, que la vie ne tient qu’à des rencontres quand les portes sont poussées, toutes ces motivations ont donné du sens à mon témoignage quand j’ai lu les nombreux commentaires.

Le tout dernier, 9 mois après ma publication, m’a particulièrement touchée : « je vous aurais lu encore et encore ». Ce sont ces petites phrases qui vous guident et vous portent dans ces processus où le bout du tunnel est parfois interminable. De ce témoignage, j’ai continué à écrire ce que je vivais, non pas comme un journal intime, plutôt comme des sketchs d’un one woman show où je serais l’humoriste.

Parce que j’avais autant de chances de gagner au loto que de faire 2 cancers en 2 ans ! Je me suis même mise à commenter des instants de chimio avec des poèmes. Ma plus belle composition étant un texte demandé par l’infirmière de mon lycée (où je suis prof de SVT) que mes élèves ont lu pour octobre rose cette année.

Véritable scénariste, j’ai préparé un poème intercalé de statistiques et de dialogues inspirés des questions et réponses de ma fille de sa 5ème à sa 8ème année (actuellement). A la clinique, une première exposition était consacrée au ressenti des patientes : j’ai mis en scène mon histoire en photo chapitre par chapitre.

Chaîne Rose est le point de départ de cette envie de partager l’Histoire au milieu des autres Histoires. D’ailleurs, je prends appui très souvent sur mon témoignage pour résumer mon parcours quand les gens me posent des questions : plutôt que de parler des heures, je donne le lien du site… C’est un peu une fierté d’avoir su mettre des mots sur toute une bataille avec ses étapes de joie, de peine, de force, de fatigue, de combat.

En quoi le cancer a-t-il transformé votre vie ? 

Je reste persuadée que le cancer ne change pas les personnes.

Il fait ressortir chez eux les qualités comme les défauts. Il pousse à l’extrême les émotions qui peuvent parfois être dures à suivre pour tout un entourage. Ayant connu le cancer trop jeune, quand ma maman a été touchée, j’avais déjà les cartes en main quand en 2019, il m’a touché à mon tour. Ce n’était pas vraiment l’inconnu, j’avais juste besoin de bien maîtriser le plan pour poursuivre une vie normale.

Janvier 2022 : un nouveau membre entre dans notre famille, Tirex mâle bichon frisé qui a eu droit à son tour au lycée, mes cheveux poussent.

Alors ce cancer-là, un cancer de stade 2, hormono-dépendant, HER2 négatif n’a pas changé mon rythme de vie car j’étais poussée par le besoin de garder cette « normalité » pour ma fille, mes parents, mes sœurs, ma nièce, mes neveux, ma famille et mes proches. Ce qui a changé avec ce cancer numéro 1, c’est la prise de conscience que ma vie personnelle devait changer.

Et le miracle de ce 21/09/2019, c’est la rencontre avec l’Homme de ma vie. Il ne le savait pas encore, moi je m’en doutais, mais deux jours plus tard, le diagnostic était posé ce 23/09/2019. Il a été là à un moment de vie où j’étais séparée du père de ma fille, où j’allais connaître un autre continent et où plus que jamais l’amour qu’il allait me donner face à la perte d’identité me procurerait une force incommensurable pour tout absorber.

Novembre 2022 : 1ière coiffure avec une coupe presque au carré, il reste encore des longueurs de tailles différentes mais en une année, la pousse globale a été rapide malgré la ménopause, la chimiothérapie et l’hormonothérapie. Mes cheveux ont retrouvé leur couleur initiale et leur texture raide. Ils sont doux comme des cheveux d’enfants avec de l’entretien malgré un côté très sec dû à la ménopause.

Ce n’est que pour le cancer numéro 2 que de nombreux aspects de ma vie ont vraiment pris un autre sens. Plus vivante que les vivants, sorte de gladiateur des temps modernes, je ne sais pas comment ni pourquoi et je ne cherche pas l’origine d’une force à tout encaisser et ce, même quand on vous dit que statistiquement vous avez peu de chances de vous en sortir. Je crois que justement, c’est ça le moteur de tout mon parcours : jamais de plan B, toujours se tenir au plan A pour ne jamais faillir. Pas de solutions bis, ni de déviation : se battre avec l’énergie du désespoir (« L’art de la guerre » de Sun Su). Désespérée, je ne l’ai jamais été. Saturée, oui. Saturée par les prises de sang, les scanners et leurs angoisses, les rituels de chimio, les douleurs continues, les insomnies…

Mais au milieu de tout ça, ma priorité révélée par le cancer : vivre chaque seconde comme si c’était la dernière. M’écouter. Dire oui ou non. Faire ou ne pas faire. Rire ou pleurer. Se faire plaisir. S’accepter et ne plus regarder ce que l’on a été (le fameux sujet des cheveux). Et prendre son temps. Ce cancer numéro 2 a même eu droit à son poème pour septembre turquoise. Je l’ai écrit suite à un poème lu sur le cancer du sein dans le journal local, parce que personne ne connaît vraiment septembre turquoise comparé à octobre rose.

Et au milieu de ce cancer-là, je me suis mariée le 23/07/2022 avec l’Homme de ma vie, ma chambre implantable, ma chimio, mon hormono …

Et ce jour fut la plus belle des journées où tout s’oublie. J’ai mesuré chaque seconde, chaque pas, chaque note de musique, chaque sourire, chaque odeur, chaque couleur. Je crois que ce jour aurait été différent sans le cancer. Il lui a donné un sens profond, surtout à la lecture de « pour le meilleur et pour le pire ». Nous avons bouleversé le traditionnel « Oui » à l’Église par des mots personnels.

Le cancer m’a bien rendu poète

Mots à jamais gravés dans nos mémoires. Le cancer m’a bien rendu poète. Les mots sortent avec facilité. Alors j’ai décidé d’avoir un compte Instagram : là encore, c’est encore le cancer numéro 2. Je ne connais rien dans la maîtrise des réseaux… Ce compte est privé, il ne montre pas l’envers du décor mais plutôt des détails du parcours : le coût d’un traitement, etc… Si je devais conclure à l’approche de mon second armistice, je me sens comme au premier. Le manque de ma canne sera passager, il va falloir se déshabituer du rythme pris des 20 derniers mois, poursuivre la surveillance tous les 3 mois et bien continuer l’hormonothérapie.

Ce moment sera même festif en chimio. J’ai demandé à mes extraordinaires infirmières que mon mari, ma famille et ma fille puisse passer à la toute fin de cette dernière cure de l’éternité. Elle m’a confié que c’était grâce à ses « vœux dans les étoiles » que maman n’allait plus avoir la chimio. Ma petite fille est apaisée. Mon Histoire est celle de tant d’autres mais comme tant d’autres elle est unique. Jamais une statistique je suis Marie.

J’ai la chance d’être née en France, je coûte plus de 1000 euros à chaque traitement sans compter les aléas (transfusions, opérations, etc. …), le combat d’une vie a un prix même si la vie n’a pas de prix. Deux cancers en deux ans, sans lien, sans génétique. Un parcours où les docteurs ont souvent dit, « c’est exceptionnel ». A l’exception, il y a les traitements mais surtout il y a la raison et l’émotion. Ce cocktail qui vous porte vers l’armistice d’un combat qui même quand il s’achève, ne vous quitte jamais vraiment.

La résilience de chaque instant : aller en chimio comme si on allait au travail, fermer les yeux pendant un scanner, continuer de travailler, savoir dire non, ressentir la nature, regarder les gens bien plus qu’avant, ne plus s’agacer ou s’agacer encore pour de bonnes raisons, être encore plus vivants que les vivants.

Marie a témoigné sur Chaîne Rose en 2021.