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« Témoigner procure du sens à sa propre existence et permet à d’autres d’en tirer avantage. »
Philippe Bataille, sociologue
J’ai une petite fille de 3 ans et demi et en avril 2018, lors d’une visite chez mon médecin pour un ganglion sous le bras de taille anormale, on me diagnostique un cancer du sein triple négatif. S’en suivent chimios, traitements… Je suis ensuite opérée, on m’enlève tous les ganglions axillaires du côté gauche et la tumeur, j’ai une cicatrice autour du mamelon mais toujours mon sein. Je prends ensuite durant six mois des comprimés de chimio car la tumeur est toujours cancéreuse avant l’opération, puis je fais environ deux mois et demi de radiothérapie. Je finis les traitements le 27 juin 2019, je tombe enceinte le 19 novembre 2019 et mon fils, Léon, nait le 19 août 2020 à 16h22.
J’ai allaité ma fille jusqu’à ses 11 mois, et donc, quand je suis tombée enceinte de Léon, pour moi c’était une évidence d’allaiter, devoir lui donner le biberon ne m’avait même pas traversé l’esprit étant donné que dans mes souvenirs, ma gynécologue/chirurgienne avait laissé les canaux de lactation sur le sein dit malade. Je ne m’en occupais donc pas, j’avais d’autres chats à fouetter.
Mais durant le confinement, j’ai commencé à observer une différence de taille entre mes deux miches. Bon, plus j’avançais dans ma grossesse et plus la différence se prononçait et plus elle me complexait. Ma gynécologue m’a dit entre temps qu’il était probable que je ne puisse allaiter que d’un seul sein. En cause, la radiothérapie qui ratisse tout sur son passage et qui atrophie les canaux de lactation et non la chirurgie, comme on pourrait le penser.
Autour des 6 mois de grossesse, j’ai rencontré une consultante en lactation pour connaitre son avis et pour qu’elle me conseille. Ne pas pouvoir nourrir moi-même mon bébé (avec mon lait, j’entends), m’angoissait beaucoup. Elle me dit que les seins se souviennent, que j’avais déjà une histoire d’allaitement long et que si le sein était stimulé par la succion du bébé, peut-être allai-je pouvoir allaiter également de ce sein.
Elle avait rencontré deux femmes dans mon cas, une avait réussi à allaiter avec les deux et une autre n’avait pas essayé avec le sein malade car l’histoire qu’il lui renvoyait était trop douloureuse.
Elle me dit également qu’il est tout à fait possible d’allaiter exclusivement un bébé (sans ajout de biberon de lait en poudre) avec un seul sein, dans certaines cultures, c’est très courant, il y a également des femmes qui font ce choix car un de leur sein donne moins ou très peu de lait et elles finissent par en « abandonner » un et puis c’est le cas aussi pour des jumeaux après tout.
Arrive le jour de l’accouchement, je n’y croyais franchement plus trop à cette histoire d’allaitement avec les deux seins, le sein « malade » ne semblait pas contenir de colostrum lorsque je le pressais, contrairement à l’autre. Mais je me devais d’essayer.
Léon était posé en peau à peau sur moi, mon corps était encore dans l’accouchement, choqué. Et j’avais l’impression de n’avoir jamais allaité, je ne me souvenais plus comment faire. La sage-femme a dû m’aider à le positionner correctement pour téter, j’avais envie de commencer par le sein « sûr ». Puis, je suis passé à l’autre avec une petite appréhension, elle me dit que les deux sont pareils et je lui réponds que justement, non. Elle ne pouvait pas savoir, je ne voulais pas la mettre mal à l’aise.
Léon tétait sur les deux seins de la même façon et aussi régulièrement pendant les 48h qui suivirent l’accouchement, il semblait déglutir également avec le sein malade. Cela me paraissait étrange, mais bon. Jusqu’à la nuit de la montée de lait, dite « nuit de l’horreur ». J’ai bien eu ma montée de lait, je m’en suis rendue compte le lendemain, j’étais tellement dans le gaz sur le moment. Il a tété non stop toute la nuit, j’avais les seins en sang, littéralement. Le pauvre s’est tellement acharné sur mon sein cancéreux alors qu’il n’y avait rien que j’avais des crevasses de film d’horreur. J’ai fait des pansements au lait maternel pour soigner tout ça. J’avais décidé de laisser un peu ce sein tranquille, le temps qu’il se remette et qu’il me fasse moins souffrir. Le frottement des vêtements était un enfer. J’avais également mal à l’autre, j’avais des crevasses aussi mais il fallait que je nourrisse mon bébé et que je m’accroche.
Et un deuxième coup dur est arrivé lorsqu’à J+5, je vais chez mon médecin pour qu’il pèse mon fils. Il me dit que s’il n’a pas retrouvé son poids de naissance à J+7, il faudra envisager de compléter au biberon. Je sors effondrée du cabinet, je ne vais pas vous mentir, je me sens comme une merde, comme une mauvaise mère égotiste et pleine de culpabilité. Ma sage-femme m’appelle dans la journée, elle me dit qu’un bébé nourrit au biberon doit avoir repris son poids de naissance à J+7 effectivement, mais qu’un bébé allaité a jusqu’à J+10 voire J+15 pour le retrouver (je partage cette info si cela peut sauver rien qu’un allaitement). Mon médecin a clairement flippé de voir ce cas inhabituel d’un bébé allaité avec un seul sein.
Tout compte fait, Léon prend du poids même plus rapidement que la moyenne (environ 80g par jour) et il tète actuellement que sur mon sein droit. Je tente de temps en temps l’autre notamment lorsqu’il vient de vider le « bon » et que l’action nourricière n’est plus en jeu ou lorsque je veux tirer un peu mon lait. Pour éviter la confusion sein/tétine, on m’a d’ailleurs conseillé d’attendre un mois de vie, les stocks de lait avec un seul sein demandant encore plus d’organisation et d’anticipation.
J’avais une ordonnance pour une prothèse mammaire en mousse. J’ai fait plusieurs pharmacie pour en trouver une qui en proposait. La préparatrice avait l’air désolée pour moi, déjà parce que j’étais jeune mais aussi parce que c’est vraiment tout pourri les prothèses en mousse, (niveau sex appeal on peut comparer ça aux collants en mousse couleur chair, je pense) moi je n’en savais rien et sur le moment j’en avais pas grand chose à faire du moment que je puisse remettre des tee-shirts sans être complexée par mes nichons Laurel et Hardy.
Avec le recul, je me trouve un peu idiote d’avoir cru pouvoir allaiter de mes deux seins, sur la moitié de mon aisselle qui a été irradiée, mes poils n’ont toujours pas repoussé, comment j’ai pu imaginer avoir du lait dans ce sein…
Je suis un peu une amazone de l’allaitement. Et que ce soit clair, je ne juge en aucun cas les femmes qui ne veulent ou ne peuvent pas allaiter. Chacune fait bien ce qu’elle veut avec ses miches, qui suis-je pour juger !
Moi, il se trouve que j’adore allaiter, j’ai adoré allaiter ma fille aussi longtemps et j’espère que cet allaitement durera encore plus longtemps. Rentre ici aussi en compte, la peur pour la santé de mon bébé. Pour ma fille, je ne voyais pas la santé comme quelque chose à laquelle il faille faire particulièrement attention. Elle était acquise, je n’avais peur de rien, je me sentais invincible et je me disais inconsciemment que les problèmes n’arrivaient qu’aux autres.
Aujourd’hui, je me rends compte que la santé est précieuse, qu’il faut en prendre soin. J’ai beaucoup plus peur pour mon bébé et je suis beaucoup plus attentive à la moindre petite chose qui sort de l’ordinaire.
Tout ça pour passer un message d’espoir pour celles qui sont en traitement mais qui veulent avoir un ou plusieurs enfants par la suite. Pour ma part, je n’ai eu aucun mal à tomber enceinte (quelques jours après retrait de mon stérilet). Il n’y a pas d’études concrètes qui prouvent que la chimio rende stérile donc si cela vous donne foi en l’avenir, vous donne envie de vous battre et de ne pas baisser les bras, croyez-y. Tout est possible. Vous êtes belles. Vous êtes fortes. On ne vous oublie pas. Et le soleil rebrillera un peu plus un jour, c’est promis.
Maïlys, dit Ariel
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