Rencontre avec le Pr Karim Fizazi, oncologue à Gustave Roussy et co-fondateur de l’association CERHOM

Qu’est-ce qui vous a poussé à co-créer l’association CERHOM avec ET pour les patients en 2014 ?

CER HOM (Fin du canCER et début de l’HOMme) est née du constat d’un manque. En effet, si Movember en Australie ou Orchid au Royaume-Uni existent depuis plus de 20 ans, nous ne disposions pas de telles structures en France qui fassent le lien entre le médical et le malade.  

Certes, chacun « porte sa croix » mais nos échanges, nos contacts, nos rencontres avec le(s) malade(s) la rendent moins lourde.

Où en est-on des cancers masculins en France ?

Le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent chez l’homme avec 50 000 cas diagnostiqués chaque année en France, la majorité étant des cancers localisés. L’âge médian des hommes touchés est de 68 ans. Le cancer du testicule est bien plus rare avec environ 2300 cas par an mais il touche une population également plus rarement atteinte par le cancer : les 18-35 ans. Il s’agit du cancer le plus fréquent chez les jeunes hommes.

Dans les deux cas, de nombreux progrès ont été faits ces dernières années, notamment dans le traitement du cancer de la prostate avec des stratégies d’escalade thérapeutique pour les patients porteurs des maladies les plus agressives (avec des métastases présentes d’emblée dès le diagnostic). Le principe est d’associer simultanément entre elles les modalités de traitement dont nous disposions déjà : chimiothérapie, hormonothérapie de 1ère et de 2ème générations. Ces dernières années ont également marqué le début de la médecine personnalisée dans le cancer de prostate avec des traitements ciblés (inhibiteurs de PARP) pour les patients porteurs de certaines mutations, en particulier BRCA2. Enfin, le PSMA (Prostate Specific Membrane Antigen) est un nouveau marqueur très spécifique du cancer de prostate qui est utilisé à la fois en diagnostic (PET scanner au PSMA, plus précis que le PET scanner à la choline ou que les examens classiques scanner et scintigraphie osseuse) et en thérapeutique, avec une nouvelle classe de médicaments : les radionucléides, administrés en médecine nucléaire (ici le PSMA-Lutetium).

Et concernant le cancer du testicule ?

Même métastatique, ce cancer est curable dans l’immense majorité des cas. Pour les formes métastatiques, la chimiothérapie (à base d’un médicament appelé cisplatine) est très efficace. Cependant, deux constats ont été faits ces dernières années :

– Le prix de cette guérison est parfois lourd pour les patients avec des effets secondaires qui peuvent persister (troubles de l’audition, neuropathie périphérique etc) alors que, rappelons-le, les patients atteints ont moins de 35 ans dans l’immense majorité des cas et ont donc toute la vie devant eux. Maintenir une qualité de vie la plus normale possible à l’issue des traitements est donc une priorité. C’est ainsi que les stratégies dites « de désescalade » se sont développées pour limiter l’impact à long terme des traitements en ajustant leur intensité au plus près de la gravité de chaque cas. L’essai SEMITEP, mené par le Dr Loriot de notre équipe, a par exemple montré que pour les patients atteints de séminome métastatique (un type particulier de cancer du testicule), une réponse complète sur le PET scanner de mi-parcours permettait d’alléger la seconde partie de la chimiothérapie, et donc les toxicités de cette dernière, sans en changer l’efficacité.

– Malgré une chimiothérapie qui fonctionne très bien, certains patients présentant une maladie de pronostic défavorable vont rechuter avec le besoin de recourir à des traitements plus lourds (chimiothérapie intensifiée avec autogreffe de cellules souches) et des probabilités de rémission plus faibles. Pour ces patients, nous avons démontré que la chimiothérapie pouvait être personnalisée en analysant leur réponse précoce à la chimiothérapie (grâce au dosage de marqueurs tumoraux sanguins après un seul cycle de chimiothérapie). Si la réponse est insuffisante, le traitement est intensifié par rapport au traitement standard, permettant d’améliorer la survie de ces patients.

– Si les femmes connaissent à peu près le rythme de dépistage des cancers du sein/utérus/colo-rectal…, c’est moins évident pour les hommes : leur conseilleriez-vous de faire un check-up annuel avec leur médecin référent ? Si oui, quel type d’examen doivent-ils demander ? 

Concernant le cancer du testicule, il n’existe pas d’examen de dépistage validé, notamment à cause de la rareté de cette maladie. Cependant, il est simple d’auto-palper soi-même une lésion testiculaire. La campagne « le 8 dézippe » invite les hommes à s’auto-examiner une fois par mois. En cas d’anomalie, pas de panique il peut s’agir d’une lésion bénigne mais il est important de consulter rapidement notamment pour réaliser un examen simple et non invasif : l’échographie testiculaire. En fonction des résultats, des examens complémentaires pourront être proposés (prise de sang, scanner ou encore IRM testiculaire). Plus ce cancer est pris en charge tôt, moins lourds sont les traitements. Si la tumeur est localisée uniquement au testicule, il faut le retirer mais la chimiothérapie n’est pas nécessaire.

Pour la prostate, la question du dépistage est plus complexe. Avant d’y recourir, il est important d’être bien informé et d’en discuter avec son médecin. Nous savons qu’un examen simple, le dosage du PSA (un marqueur sanguin très spécifique du cancer du prostate), associé à un toucher rectal permet de dépister la plupart des cas. Cependant :

– Une fraction non négligeable de ces cancers est indolente et ne donnera donc pas de symptôme ni d’évolution vers une forme plus grave avec des métastases. La durée moyenne d’évolution d’un cancer de prostate avant l’apparition de symptômes est de 10 à 15 ans. Il y a donc un risque de sur-traitement. Les traitements du cancer du prostate peuvent entraîner des troubles sexuels, urinaires ou encore digestifs. De plus, contrairement au cancer du testicule, le cancer de prostate survient en moyenne vers 68 ans, les effets secondaires des traitements peuvent être importants si le patient présente déjà d’autres pathologies liées à l’âge ;

– Une faible proportion de patients, environ 10%, ne présente pas d’élévation du PSA malgré la présence d’un cancer de prostate ;

– Pour finir, nous ne savons pas à l’heure actuelle si un diagnostic très précoce permet de diminuer la mortalité liée à ce cancer.

L’indication du dosage du PSA doit donc être discutée au cas par cas en fonction du rapport bénéfice/risque individuel. Par contre, ce dosage doit être encouragé de façon précoce (à partir de 45 ans) en présence de certains facteurs de risque comme un antécédent familial de cancer de prostate ou des origines africaines ou antillaises. Si le dosage du PSA revient élevé, il ne s’agit pas obligatoirement d’un cancer. Cette élévation peut être transitoire et liée à une infection (prostatite aigüe) ou encore à une hypertrophie bénigne de la prostate, c’est-à-dire une « grosse prostate » (taux de PSA globalement proportionnel au volume de la prostate). En fonction du résultat, des examens pourront être demandés : IRM de la prostate et biopsies de la prostate.

Sur quels leviers peut-on jouer pour sensibiliser les hommes (et leur entourage peut-être ?) à l’importance du dépistage ? 

Plutôt que le dépistage, il est important de sensibiliser à l’existence même des cancers masculins et des signes qui doivent alerter, encore trop peu connus. Les cancers masculins sont moins visibles que le cancer du sein par exemple et encore trop souvent considérés comme tabou. Beaucoup de jeunes que nous suivons pour des cancers du testicule ne savaient même pas que cette maladie existait et que leurs symptômes pouvaient témoigner de quelque chose de grave à leur âge. Il est donc crucial que les médias et le grand public s’emparent de ce sujet pour compléter les actions comme celles de CerHom et de la fondation Movember. L’information est importante car elle permet de limiter les diagnostics tardifs et donc les pertes de chance.

Quels sont les messages clés à transmettre ?

Il ne faut pas hésiter à évoquer les cancers masculins autour de vous, le mois de novembre et la moustache sont un prétexte idéal pour aborder le sujet avec les hommes de votre vie. Pour les hommes, il est primordial d’être à l’écoute de son corps et de ne pas hésiter à consulter devant un nouveau symptôme. Mieux vaut une fausse alerte qu’un retard diagnostic.

Porterez-vous la moustache au mois de novembre ?

Elle ne sera pas très visible sous le masque mais évidemment j’arborerai la moustache comme chaque année !


Propos recueillis par Céline Dufranc pour Chaîne Rose