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« Témoigner procure du sens à sa propre existence et permet à d’autres d’en tirer avantage. »
Philippe Bataille, sociologue
Depuis le départ de sa fille Laurette, emportée par une leucémie il y a 20 ans, Stéphanie Fugain soulève des montagnes. Audacieuse, résiliente, émouvante, elle nous parle à cœur ouvert de son association « Laurette Fugain ». De sa vie, et du « don de vie », leur combat.
Quand elle était à l’hôpital, je ne voulais pas la quitter une seule seconde. Un jour, elle a eu cette phrase puissante : « Quand je sortirai, je mènerai un combat pour que tous les jeunes sachent que l’on a besoin de sang, de plaquettes, de moëlle osseuse pour sauver des vies ». Laurette était tellement dans la vie. Pleine d’espoir et de projets. Je voulais tellement qu’elle gagne. Mais sa leucémie a été plus forte. Après 11 mois de combat, la vie s’est arrêtée du jour au lendemain. Pas seulement pour elle. Pour toute la famille… Nous sommes partis sur une autre rive. Quand votre enfant meurt, vous êtes morts aussi. Anesthésiés. La maman lionne que je suis s’est mise en boule au fond de son corps. Restait l’énergie vitale, cette petite flamme qui attendait d’être rallumée.
Mes enfants. Je ne voulais pas leur donner l’exemple d’une maman qui s’effondre. Mon fils n’avait que neuf ans. Il fallait rallumer ma petite flamme. Donner du sens à ce non-sens. Pour que Laurette ne soit pas partie pour rien. C’est ce qui m’a poussé à créer l’association en septembre 2002. Ce combat, son combat, c’est celui de tous les patients.
« Donner son sang, ses plaquettes, sa moelle osseuse… c’est sauver des vies » : le slogan de l’association est plus que jamais d’actualité.
Nous manquons toujours cruellement de donneurs. Pourtant, on multiplie les campagnes d’information pour faire du don de vie un acte citoyen et naturel. Notamment dans les écoles, où les enfants sont impliqués et en parlent ensuite à leurs parents. Mais de nos jours, les gens courent plus que jamais. Ils ont la tête ailleurs… Ou ils ignorent qu’ils peuvent aider les malades atteints de la leucémie ou du cancer à combattre leur maladie, tout simplement en donnant un peu de vie. On n’en a malheureusement trop souvent conscience que lorsque l’on est confronté à la maladie. Or, à ce moment-là, chaque seconde compte. Et quand on ne trouve pas de donneur de moelle osseuse compatible, c’est fini. J’ai eu la chance de faire partie d’une famille de donneurs. Laurette était donneuse. C’est une grande chaîne. Pour ne pas la rompre, inscrivons le don de vie dans nos agendas. Allons-y avec des amis ! C’est le plus beau geste d’amour après celui d’avoir mis un enfant au monde.
Nous essayons de trouver des solutions d’hébergement et d’accompagnement juridique et social.
Accompagner, apporter du soutien et du réconfort aux patients, aux anciens patients et à leurs proches, durant cette traversée du désert qu’est la maladie. Pour cela, nous finançons de nombreux projets au sein des services pour faciliter le quotidien : équipement des chambres et aménagement de salles (bras articulés et tablettes/ordinateurs contre l’isolement, vélos statiques, lits d’appoint pour les proches, cadeaux, etc. ). Nous finançons également des outils d’information (livrets, mallettes…), des ateliers (art et musico-thérapies, sophrologie, socio-esthétique…) ainsi que des projets innovants comme les robots de téléprésence (No Isolation), les casques de réalité virtuelle pour une meilleure gestion de l’anxiété et de la douleur pendant les soins. Sans oublier l’activité physique adaptée dans les chambres, avec la Cami Sport&Cancer. Concernant les aidants, nous essayons de trouver des solutions d’hébergement et d’accompagnement juridique et social. Nous pouvons également les aider à obtenir un second avis médical auprès d’un médecin expert. Cela permet de lever des doutes afin de prendre la meilleure décision. Sans oublier les équipes soignantes, que nous encourageons à travers des prix, des formations, la réfection et l’embellissement des salles dans lesquelles ils travaillent sans relâche1.
Pour eux, la maladie est un tsunami qui laisse de terribles séquelles. Ma fille Marie a écrit un très beau livre à ce sujet, « Moi, on ne m’a jamais demandé comment j’allais ». Quand sa soeur a été touchée par la maladie, elle était « grande ». Je n’ai pas vu à quel point elle souffrait. Un enfant, c’est fragile. Précieux. Durant cette épreuve, ils se sentent souvent coupables d’être en bonne santé, même s’ils ont donné leur moëlle à leur frère ou à leur sœur. Alors nous avons créé ces ateliers Fratrie pour la famille, dans lesquels sont proposés des jeux de rôle, pour leur permettre de se réapproprier leurs émotions. Pour les plus grands, il existe les échanges en visio.
J’ai réussi à sauver plusieurs couples, pas le mien.
C’est tellement important de les soutenir. De leur dire : « prenez soin de vous car ce que vous allez vivre va être très dur, très violent. Il y a une montagne à grimper. Vous ne souffrirez pas de la même façon que l’autre. Vous allez parfois le détester. Avoir envie de partir. Mais c’est un passage. Ne vous séparez pas. Si vous vous aimiez avant, aimez-vous maintenant. Faites-vous aider si vous en éprouvez le besoin. L’association sera à votre disposition ». J’ai réussi à sauver plusieurs couples, pas le mien. Il y a 20 ans, une infirmière m’avait dit « Faites attention à votre couple ! », ce qui ne voulait rien dire pour moi.
L’association est aujourd’hui l’un des premiers financeurs associatifs, avec 10 millions d’euros affectés et 213 projets de recherche sur les leucémies et autres cancers du sang (leucémie aigue lymphoblastique, leucémie aigue myéloblastique, leucémie lymphoïde chronique, leucémie myéloïde chronique, myélome multiple, lymphome, syndrome myélodysplasique et leurs nombreuses sous-formes). Le Prix Laurette Fugain récompense les jeunes chercheurs en hématologie. Il est important de contribuer au lancement de start up sur des projets de recherche clinique et fondamentale ! Ou de permettre à de jeunes médecins d’assister à des congrès internationaux grâce à la Bourse Jeunes chercheurs. C’est grâce à eux que ce combat se transforme, pas à pas, en victoire2. Reste à développer la recherche pédiatrique, qui reste le parent pauvre de la recherche. Les enfants sont encore traités avec des médicaments destinés aux adultes. Nous travaillons avec des groupes parlementaires pour faire évoluer les choses.
Il y a 20 ans, par la force des choses, je me suis orientée vers d’autres activités professionnelles. J’accompagne des patients, leurs familles, des médecins, et je partage des histoires qui sont celles que j’ai vécues. Ensemble, nous allons continuer à faire grandir ce combat. Pour tout cela, je dis merci à Laurette de me faire découvrir ces richesses.
Propos recueillis par Céline DUFRANC
1Derrière la blouse blanche de Stéphanie Fugain (Flammarion)
2La 4ème édition des Rendez-vous de Laurette Fugain auront lieu le 25 novembre 2023 à Massy. La matinée sera consacrée aux chercheurs et aux avancées thérapeutiques. L’après-midi aux ateliers bien-être et nutrition.
Pour vous inscrire : rendez-vous.laurettefugain.org/registration/index