Seule association en France à traiter des problématiques spécifiques aux cancers tête et cou, l’association Corasso a fait bouger les lignes avec sa campagne choc, « Quoi ma gueule ? ». Rencontre inspirée et inspirante avec sa présidente, Sabrina Le Bars, élue « Femme de Santé 2020 », une jeune femme qui ne lâche rien.

Qu’est-ce qui se cache derrière Corasso ? 

Une belle histoire de rencontres, de solidarité, d’envie d’aider les patients ayant un cancer ORL rare1. Quand j’ai eu un carcinome adénoïde kystique, une tumeur rare des glandes salivaires accessoires en 2014, j’ai été soignée en même temps que Christine Fauquembergue à Gustave Roussy. Elle m’a beaucoup soutenue et nous sommes vite devenues des sœurs d’armes ! Le Dr François Janot, à l’époque président du REFCOR2 (Réseau d’expertise français des cancers ORL rares) a soufflé l’idée à Christine de créer une association de patients. Car beaucoup se retrouvent isolés, bouleversés par cette annonce. Les questions se bousculent : vers qui s’orienter pour se faire soigner ? Les traitements sont-ils douloureux ? Comment vivre avec un tel cancer ? Dans ces moments-là, c’est vraiment important de pouvoir échanger avec quelqu’un qui connaît ces cancers aussi méconnus que complexes. Non seulement ils touchent à notre image corporelle mais selon leur localisation, ils peuvent affecter certaines fonctions essentielles comme manger, parler, respirer, voir, entendre… Aussi difficile que ce soit de se retrouver avec un autre visage, on doit pouvoir avoir une vie et apprendre à s’aimer malgré les séquelles fonctionnelles et esthétiques. 

Vous-même, comment avez-vous découvert votre cancer ?

Au cours d’une visite de routine chez mon dentiste alors que j’étais enceinte de plus de six mois. J’ai vite compris à sa tête que quelque chose n’allait pas. Tout s’est enchaîné très vite : dès le lendemain, l’ORL qui m’a reçue a fait des clichés de ma bouche et une biopsie. Lorsque je suis allée chercher mes résultats, il m’a annoncé que j’avais une tumeur au niveau du palais. Je voulais qu’on me l’enlève immédiatement pour pouvoir poursuivre ma grossesse mais cela n’a pas été possible. Mes sinus étaient atteints, ainsi que le plancher d’un de mes orbites et la base du crâne. On ne pouvait pas mettre la santé du bébé en jeu. Serena est donc née avec un mois et demi d’avance, pour que l’on puisse m’opérer et me faire la radiothérapie. Je n’imaginais pas qu’un parcours aussi difficile m’attendait … Sans ma fille, le soutien de mes proches et des soignants, je pense que le combat aurait été encore plus difficile. 

C’est notamment pour rompre l’isolement des patients que vous vous êtes engagée avec Corasso : quels sont les autres objectifs de l’association ? 

Mieux faire connaître ces maladies auprès du grand public et des praticiens, et « déstigmatiser » les malades en brisant les tabous. Ils ont déjà la « gueule cassée », ce n’est pas la peine de leur briser le cœur en les regardant avec trop d’insistance. Ces cancers sont encore très stigmatisés, souvent liés à la consommation d’alcool ou de tabac, et de plus en plus à une infection au papillomavirus, une maladie sexuellement transmissible. Contrairement à ce que l’on imagine, ils ne touchent pas que des hommes de plus de 60 ans. Ils touchent aussi de jeunes adultes, non fumeurs, non alcoolo-dépendants, et dans 40 % des cas, des femmes…

C’est pourquoi nous nous oeuvrons également pour un diagnostic plus précoce et une meilleure prise en charge des patients afin d’augmenter leur espérance de vie, en limitant les séquelles liées aux traitements lourds et mutilants. Cela passe par une meilleure connaissance des symptômes qui doivent alerter, et qui peuvent paraître anodins : voix enrouée, tâches rouges ou blanches dans la bouche, aphtes, nez bouché, difficultés à avaler, mal de gorge, ganglion dans le cou, surdité unilatérale… Si l’un de ces symptômes persiste plus trois de semaines, il faut absolument consulter. Du côté de la prévention, nous insistons particulièrement sur l’importance du vaccin contre le papillomavirus chez les filles ET chez les garçons à partir de 11 ans. Car on l’ignore souvent mais 1/3 des cancers de la tête ou du cou sont liés au virus HPV et pourraient être évités. Et s’ils sont pris à un stade précoce, le taux de survie des patients est de 80 à 90 %. 

Pour sensibiliser l’opinion publique aux cancers tête et cou, vous avez donc lancé une campagne choc sur les réseaux sociaux et dans les hôpitaux en 2019. Pourquoi l’avoir intitulée « Quoi ma gueule » ?

Pour faire bouger les lignes. Parce que le regard posé sur nos « gueules cassées » fait mal. Ce cancer provoque un bouleversement à l’intérieur de nous mais aussi à l’extérieur. Il touche aux piliers de la vie que sont la parole, l’image, la nourriture, l’amour… Nous avions envie de dire « Arrêtez de nous regarder comme ça ! On ne veut pas de peur, de dégoût, de pitié… » C’est déjà assez difficile pour nous de se regarder chaque matin dans le miroir. A tel point que certains n’osent pas sortir sans leur masque de chirurgie qui cache leur mâchoire. D’autres ne peuvent plus travailler car leur image « dérange ». Que dire de ceux qui ne peuvent plus embrasser leur conjoint ou qui ne sont plus embrassés parce que la bouche représente la zone de la maladie ? Il fallait frapper fort.

Concrètement, comment s’est déroulé le projet ?

Lors du congrès annuel organisé par la Société française de psycho-oncologie, nous avons été approchés par une responsable d’un laboratoire médical, désireuse de nous aider. Pour nous donner plus de visibilité, elle a suggéré d’organiser une soirée avec une chorale pour montrer l’importance de la voix, souvent affectée par les traitements. Mais j’ai eu envie d’aller plus loin, en misant sur l’image. En 2015, en participant à un shooting pour Rose magazine, je me suis montrée sans lunettes pour la première fois, et cela m’a aidée à reprendre confiance en moi. D’où l’idée d’organiser une expo photos pour partager cette expérience avec d’autres. Finalement nous sommes allés un cran plus haut en montant toute une campagne vidéo autour de 16 malades ou ex-malades, exposés en gros plan face à un objectif et une caméra. Pour montrer notre « différence ». Parce que plus on la montre, moins on la voit et moins on fait peur. Cette campagne, visible pendant un an sur les réseaux sociaux, a vraiment eu un effet cathartique. En montrant plusieurs facettes de la maladie et de ses séquelles, on a laissé un peu de notre douleur sur le plateau. C’était aussi un outil de communication avec nos proches. Chacun de nous avait enregistré deux vidéos. Dans la première, il répondait à une question qu’il avait lui-même envie de se poser. Et dans une seconde, il présentait un objet symbolique de son parcours.

Vous-même, qu’aviez-vous choisi ? 

Ma question était : « M’accorderiez-vous cette danse ? ». Car quelques années après mes traitements, une amie m’a entraînée dans un cours de salsa. Un véritable défi car il fallait oser se montrer, accepter le regard d’un partenaire sur mes cicatrices. Et au-delà du regard, ayant perdu l’audition de l’oreille droite, ce n’était pas évident pour l’équilibre ! Le prof de danse, très bienveillant, m’a beaucoup aidée à retrouver ma féminité qui s’était un peu étiolée pendant les traitements. Cela m’a donné l’envie de faire des rencontres. De retrouver l’amour… Et aujourd’hui, j’ai un petit Baptiste de bientôt 1 an ! Son papa a vu en moi une femme et non pas une femme malade. Son regard a su voir au travers de mon visage abîmé. Concernant l’objet, j’ai choisi une petite paire de chaussons tricotés par ma grand-mère et ma mère quand j’étais enceinte de ma fille. Ils symbolisent le lien très fort qu’il y a entre nous quatre. Ma maman m’a beaucoup soutenue tout au long de mon parcours. Car la fatigue est souvent omniprésente. 

A ce propos, quels sont les points forts de votre association pour soutenir les patients ?

L’information et l’orientation des patients vers les dispositifs médicaux, protocoles et soignants les plus à mêmes de répondre à leurs problématiques. Le soutien face aux difficultés, notamment sociales, liées à l’altération de l’apparence et/ou de la voix, grâce à l’espace de parole et de partage proposé sur Facebook. Il y a aussi notre groupe privé Corasso Echangeons, auquel les patients, ainsi que leurs proches, ont accès moyennant une adhésion symbolique à partir de 1 €. C’est un espace sans filtre où l’on peut parler de tout et dans lequel règnent une solidarité, une écoute, une gentillesse qui mettent du baume au cœur et à l’âme. Cela permet de rompre l’isolement, et surtout, « d’être ensemble », entre nous, sans même avoir besoin de tout dire car on est tous passés par là. Pour améliorer la qualité de vie des patients, nous voudrions lancer un atelier culinaire. On y trouvera des astuces et des recettes adaptées aux effets secondaires des traitements et des chirurgies. Car la réalité c’est que beaucoup se retrouvent amputés de leur langue ou de leurs dents. Ils ne peuvent plus mâcher, avaler, déglutir… Continuer à se nourrir et à se faire plaisir, c’est essentiel ! Nous publions déjà des vidéos de recettes mixées sur Insta, réalisées par une patiente, Véronique, aussi délicieuses que rapides et faciles à réaliser. Nous avons également participé à l’élaboration d’une application, Chef Rico, qui a récemment été mise en service. Nous aimerions également proposer un atelier de socio-esthétique destiné exclusivement aux patients ayant un cancer tête et cou. Des ateliers ouverts à tous existent déjà mais nos adhérents n’osent pas y aller, redoutant de s’exposer au regard des autres. Ils ont besoin d’une certaine intimité.

Dans votre parcours, les soins de support font ainsi partie intégrante des traitements ?

Ils sont absolument nécessaires pour préserver et améliorer la qualité de vie des patients, souvent mise à mal après l’exérèse de leur tumeur. Ils vont enchaîner chimio ou radiothérapie, puis devoir gérer des cicatrices et des séquelles fonctionnelles, douloureuses et invalidantes. Le rôle de l’épithésiste, le spécialiste du visage qui va reconstruire les organes manquants, oreille, nez, œil, est essentiel. Beaucoup sont de véritables artistes3. C’est grâce à eux que l’on ne choquera plus quand on croisera quelqu’un. Il y aussi les kinés, les orthophonistes, les prothésistes dentaires pour réapprendre à parler, à manger si l’on vous a retiré des dents, une partie de la mâchoire ou la langue. Le psychologue pour vous aider à accepter votre nouvelle image, vous aider à vous reconstruire moralement et physiquement. Mais aussi la diététicienne ou la nutritionniste pour retrouver l’envie de manger…

Quelles évolutions aimeriez-vous voir se produire dans le domaine de la santé ?

Outre le développement des thérapies ciblées qui permettent de réduire les conséquences de la chirurgie et de diminuer ou d’éviter les séances de radiothérapie, nous aimerions que la prise en charge des prothèses dentaires par la sécurité sociale soit systématique. Car ce n’est vraiment pas du « luxe » ! Actuellement, la prise en charge de ces prothèses très coûteuses est fonction des centres de soin. Ainsi, de nombreux patients doivent encore payer une ou des prothèses plusieurs milliers d’euros pour retrouver des dents perdues au cours de la chirurgie ou de la radiothérapie. Ce alors même que bon nombre d’entre eux ont perdu leur travail ou sont à la retraite avec des revenus faibles.

Très important également, nous souhaiterions que la place des patients soit mieux connue et reconnue. Un patient ne doit pas avoir peur de poser des questions s’il n’a pas compris ce que le médecin lui dit ou s’il a des doutes par rapport au traitement proposé. Il doit « oser » demander un second avis s’il le souhaite. Le droit d’information des patients, qui existe depuis 20 ans, est légitime et essentiel. Si le médecin ne veut pas répondre, « courage fuyons ! ». Sachant que les médecins ont aussi le droit de ne pas tout savoir, de dire « je ne sais pas » à leur patient mais dans ce cas, ils doivent orienter vers un centre expert. Or, il reste quelques rares médecins qui jouent encore aux apprentis sorciers en prenant en charge des patients dont ils ne connaissent pas ou trop peu la pathologie…

Il faut également développer le rôle et la place des « patients partenaires », complémentaires des soignants, qui doivent entrer davantage dans les hôpitaux. C’est essentiel pour le bon fonctionnement de la démocratie sanitaire. On a tous à y gagner.

Une phrase pour conclure ? 

J’aime particulièrement cette phrase de Laurent Gounelle : « On réalise rarement dans l’instant que les moments difficiles ont une fonction cachée, nous amener à grandir ».

Propos recueillis par Céline Dufranc

1 depuis 2019, Corasso fait référence aux cancers tête et cou, conformément à l’appellation internationale. Cela reflète mieux la réalité de ces cancers situés entre le haut du crâne et le bas du cou (sauf les cancers de la thyroïde, du cerveau et ophtalmo)
2 http://refcor.org 
3 https://corasso.org/2022/03/08/reportage-magazine-de-la-sante-sur-france-5/

EN CHIFFRES

15 000 nouveaux cas de cancers tête ou cou par an en France (cancer de la bouche, des sinus de la face, des glandes salivaires, des amygdales, de la mâchoire, du larynx …)

10 % sont des cancers rares (un cancer est considéré comme rare quand il touche moins de 6 nouveaux patients pour 100 000 habitants par an).

2 cancers sur 3 sont diagnostiqués à un stade avancé, deux tiers des patients sont des hommes

64 ans, c’est l’âge médian de survenue des cancers de la tête ou du cou

PORTRAIT CHINOIS DE SABRINA

  1. Si tu étais un animal, tu serais… un koala
  2. Si tu étais une plante (fleur, arbre…)… un noyer
  3. Si tu étais un élément… l’eau
  4. Si tu étais une pierre précieuse ou non… une améthyste
  5. Si tu étais une saison… l’automne
  6. Si tu étais un moment de la journée… le dîner 
  7. Si tu étais un des cinq sens… le toucher
  8. Si tu étais un pays… le Canada
  9. Si tu étais une ville… Rome
  10. Si tu étais une planète… la Terre
  11. Si tu étais un paysage… une plage calédonienne
  12. Si tu étais une pièce de la maison… la cuisine, ouverte sur le salon
  13. Si tu étais un objet du quotidien… une pomme de douche
  14. Si tu étais un vêtement… un sweat
  15. Si tu étais un livre… Le cercle littéraire des épluchures de patates
  16. Si tu étais un personnage de fiction… Rose DeWitt Bukater
  17. Si tu étais un mot… Merci
  18. Si tu étais un film… Intouchables
  19. Si tu étais un super pouvoir… un sérum de vérité
  20. Si tu étais une créature légendaire / imaginaire… tout sauf une licorne !
  21. Si tu étais une chanson… Paradis d’Orelsan
  22. Si tu étais un style de musique… Pop
  23. Si tu étais un instrument de musique… un violon
  24. Si tu étais un art… la photographie
  25. Si tu étais une découverte médicale… le vaccin contre tous les cancers
  26. Si tu étais une femme célèbre… Mère Teresa
  27. Si tu étais une héroïne… ma grand-mère
  28. Si tu étais un plat… le pot au feu de mon chéri !
  29. Si tu étais un dessert… une tropézienne aux framboises
  30. Si tu étais une friandise… un After eight
  31. Si tu étais un fruit… un letchi
  32. Si tu étais une boisson… une bière bue au goulot
  33. Si tu étais une odeur, un parfum… la fleur de tiaré
  34. Si tu étais une fête… le mariage de ma meilleure amie
  35. Si tu étais un chiffre ou un nombre… 77
  36. Si tu étais un bruit… le rire de mes enfants 
  37. Si tu étais une devise ou une citation… L’union fait la force
  38. Si tu étais un hashtag… #QuoiMaGueule?
  39. Si tu étais une mauvaise habitude… le carré de chocolat de la fin du repas
  40. Si tu étais une qualité… la bienveillance
  41. Si tu étais une émotion… la joie 
  42. Si tu étais un plaisir… celui des amoureux
  43. Si tu étais… un homme… heu, là… je donne ma langue au chat !
  44. Si tu étais un rêve… la paix dans le monde
  45. Si tu étais une baguette magique celle d’Harry Potter bien sûr !

Et que ferais-tu avec ? Je stopperais le péril environnemental (il me faudrait un paquet de formules…)

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