L’après-cancer est bien plus difficile qu’on ne l’imagine… Avant de parler de retour au travail, de retour aux autres, il faut prendre le temps du retour à soi . C’est la raison d’être de SKIN, une merveilleuse association créée par Cécile Reboul, qui propose des binômes artistiques ou sportifs pour se reconstruire. Un joli pied de nez à la maladie, et une ode à la vie !

« Devenir l’artiste de sa vie »

Chaîne Rose : Qu’évoque pour vous l’après-cancer ?

Cécile REBOUL : Un vrai sujet de santé publique ! Car c’est une période dont on ne tient pas suffisamment compte. D’après le rapport del’Observatoire sociétal des cancers, publié par La Ligue contre le Cancer en 2018, 2 personnes sur 3 touchées par le cancer estiment que l’après est plus difficile à vivre que la maladie – les séquelles peuvent durer jusqu’à 20 ans après le diagnostic. On parle beaucoup du retour au travail après la maladie mais encore faut-il pouvoir y retourner. Beaucoup de choses ou d’associations existent à ce sujet mais pour pouvoir retourner au travail ou aux autres, il faut pouvoir au préalable retourner à soi-même. Cela demande du temps et de l’accompagnement. C’est là que SKIN se situe, dans ce no man’s land, cette période charnière.

Comment est née l’association, qui fête cette année ses 10 ans ?

Un peu par hasard. De ma propre expérience… J’ai eu un cancer du sein en 2012. A la fin des traitements, j’ai trouvé que c’était vraiment difficile. Cette question, « vais-je redevenir une femme ? », tournait en boucle.  Il n’existait rien autour de moi pour me rassurer, m’aider à dépasser tout cela… Mon cancérologue m’avait dit de faire attention au « syndrome de la bouse blanche », cet état de stress post-traumatique que l’on peut connaître à l’issue de la maladie. Je n’y ai pas vraiment prêté attention, toute à ma joie de vouloir reprendre ma vie… d’avant : aller au théâtre, au cinéma, voir des amis… 

« La création n’est pas seulement la création d’une œuvre, elle est aussi bien transformation de soi, création de soi ».

Et que s’est-il passé ?

Il y avait un vrai décalage… J’ai subi un terrible contrecoup. On attend de vous que la vie reprenne son cours comme avant or, vous n’êtes plus celle d’avant. Tout s’effondre…Vous finissez par vous sentir coupable d’aller mal alors que vous êtes en vie. Vos chairs ont cicatrisé mais qu’en est-il de la cicatrisation psychique et émotionnelle ? Comment habiter notre nouvelle peau ? Heureusement, j’ai eu la chance de croiser la route de l’artiste plasticienne, photographe vidéaste et peintre, Karine Zibaut, à laquelle j’ai proposé de faire un livre à quatre mains. Unies par le désir de transformer la maladie en œuvre d’art, nous avons cheminé ensemble durant 18 mois. Elle a créé des vidéos à partir de mes écrits, puis nous avons intégré la photographie et le dessin. A la fin, quand elle m’a montré les photos, le résultat de notre création, De dos rien n’a changé, j’ai été saisie : la vie avait repris ses droits. Sublimer ce qui fait mal, ce qui libère, ce qui guérit, quelle extraordinaire thérapie ! J’ai abandonné l’idée du livre et j’ai créé Skin.

Quel est le principal objectif de l’association ?

SKIN propose de restaurer le lien avec l’autre, en provoquant la rencontre entre une personne qui a été touchée par le cancer et un (e) artiste ou un sportif. Ensemble, ils vont co-créer une œuvre ou réaliser une performance qui va évoluer à leur rythme. Durant cette expérience, chacun se nourrit de l’autre. Se transforme. Se métamorphose. S’appuyant sur le modèle du mentorat, c’est à la fois la renaissance dans l’action, la créativité et le dépassement de soi-même. Le binôme favorise le cheminement vers la résilience. La personne est active, reprend les rennes. C’est très aidant. Comme cette petite phrase, que la maman d’un ami de mon fils m’avait glissée lorsque j’étais malade : « N’ayez pas peur, ayez confiance, tout ira bien ! ». A mon tour de la transmettre.

« C’est de la qualité de la relation va naître la beauté de l’œuvre ».

Comment formez-vous les binômes ?

C’est avant tout une rencontre humaine. Je prends le temps de rassurer et d’écouter les personnes qui viennent nous voir, – principalement des femmes-, pour définir au mieux avec elles le projet qui les fera vibrer. Ensuite, nous cherchons l’artiste ou le sportif qui l’accompagnera, en nous assurant que cela « matchera ».  Et ensuite, on provoque la rencontre. Ces artistes, ou sportifs, vont d’abord déculpabiliser ces personnes qui se sentent mal dans leur corps et dans leur cœur, alors qu’ils sont en vie. C’est la première étape, incontournable, vers la guérison. Ensuite, ils vont les inviter à se projeter dans une création ou une performance, ce qui va leur permettre de sortir de leur rumination, de leur isolement et de se concentrer sur quelque chose qui va leur faire plaisir. Et le plaisir est l’un des ingrédients de la résilience. Aujourd’hui, des binômes se forment dans tous les domaines de l’art : pictural, littéraire, cinématographique, culinaire…

Auriez-vous un exemple de binôme culinaire à nous faire partager ? 

Celui de Lydia. Cette femme, qui s’est toujours définie comme une « working girl », a vécu deux cancers à 20 ans d’intervalle. Les seuls moments de plaisir qu’elle se soit accordés à ces périodes, c’était de s’offrir des pâtisseries de grands pâtissiers. Avec Skin, elle s’est donc lancée dans un binôme culinaire avec la cheffe pâtissière, Sandrine Baumann-Hautin, connue pour sesAteliers de Pâtisserie Santé Plaisirdans les établissements de Santé en Oncologie.

Quelles sont les autres activités proposées par Skin ?

Lorsque Skin ne fait pas la paire, l’association regroupe, rassemble, resocialise en proposant de nombreux ateliers collectifs au cours de l’année (photographie, danse, création de bijoux ou cuisine), des sorties culturelles au théâtre, au musée, des tables-rondes en présence d’experts pour s’informer sur l’après-cancer, l’art et la santé mais aussi des « After skin », des rencontres physiques où chacun peut parler librement et sans tabou de n’importe quel sujet.

Plus qu’une association, SKIN est un soin de support… d’utilité publique ?

C’est ainsi que le considère le Pr Bernard Anselem, neuropsychiatre et parrain de l’association, comme un soin de support qui s’inscrit dans une nouvelle branche de la psychologie, l’ACT (acceptance and commitment therapy). SKIN, c’est comme un tuteur de résilience, une famille sécurisante pour nos membres, qui reprennent confiance en menant leur projet et en le partageant avec leurs proches et le grand public, à travers des expositions, des spectacles, dans des lieux prestigieux, ou dans certains hôpitaux.

« Les cicatrices signent une mue rendue inévitable par la maladie, mais salvatrice. Elles se font jalons, trace, mémoire. Pour aller mieux, pour se créer de nouveau, cellule après cellule, seconde après seconde. Pour être un jour enfin bien dans sa peau ».

Comme un pansement, la beauté, la créativité, aident à se réparer, à « guérir » ?

Les neuroscientifiques reconnaissent le pouvoir de l’art, de la culture et du beau sur le cerveau. Jean-Pierre Changeux le premier disait que « l’art embrase le cerveau » et parle de « beauté dans le cerveau ». De son côté, Pierre Lemarquis soutient que l’art « sculpte et caresse notre cerveau ».

Envisagez-vous d’interpeller les pouvoirs publics sur le sujet de l’après-cancer ? 

Absolument ! L’après cancer, véritable sujet de santé publique, doit être davantage préparé. D’autant qu’il a un coût pour la société. Certaines personnes vont complètement se remettre en question après leur parcours de soins, ce qui a des conséquences intimes, familiales, professionnelles, économiques… Nous voulons aussi sensibiliser l’opinion publique à l’importance de ce sujet et multiplier les binômes à travers toute la France. Depuis le confinement, beaucoup d’échanges se font en visioconférence. Et ce sont autant de rencontres humaines, de projets de retour à soi et de retour à la vie.

Ce mot, résilience, résonne fort en vous. Comment la définiriez-vous ?

Comme l’art du lâcher-prise et de l’envol. Mon cancer a révélé la femme que j’étais au fond de moi. En faisant ma mue, je suis née à moi-même. Skin, c’est ma colonne vertébrale, ma bouffée d’oxygène !

Propos recueillis par Céline Dufranc pour Chaîne Rose

DES RÉALISATIONS QUI FONT RÊVER !

Skin… comme une mue. Un processus qui permet la transformation de soi et la cicatrisation psychique et émotionnelle. Au-delà des mots/maux, la preuve en images.

« A travers la conception de ce collier, j’exorcise mon parcours médical en faisant de ma poitrine un lieu de création et non de reconstruction.

Les échos deviennent des esquisses,
Des lignes d’or habillent mes cicatrices,
Les labos se changent en atelier,
Les docteurs cèdent la place à la Beauté.
Et ma peau se sent comme le bijou qu’elle accueille : martelée et ciselée mais tout aussi précieuse et lumineuse. 
Merci à Skin, à cette maison de luxe, et à Patrice pour cette mue émue »

Patricia

Un bijou de Patricia et Patrice, son binôme, dans une légendaire maison de luxe française

« Je réalise un flacon de parfum et son packaging au sein d’une légendaire maison de luxe française. J’ai un odorat particulièrement développé – j’associe chaque image à une odeur. C’était l’occasion de mettre à profit et de dessiner le contenant du jus idéal !


Avec Miren, mon binôme artistique, nous avons commencé à œuvrer à l’aide d’un journal de bord, dans lequel je devais préalablement consigner mes réflexions, mes ressentis, mais aussi les images, odeurs, couleurs, végétaux, objets, formes, vêtements, personnalités… qui me tenaient à cœur. Dans cette création, l’émotion constitue un fil rouge et ce sera le point central de notre œuvre »

Karine

Prototype d’un flacon de parfum imaginé et réalisé par Karine et Miren dans la même maison

PORTRAIT CHINOIS

  1. Si vous étiez un animal, vous seriez… une lionne
  2. Si vous étiez une plante (fleur, arbre…)… un olivier
  3. Si vous étiez un élément… le feu
  4. Si vous étiez une saison… le printemps
  5. Si vous étiez un moment de la journée… le petit matin
  6. Si vous étiez un des cinq sens… le toucher
  7. Si vous étiez un paysage… la campagne
  8. Si vous étiez un objet… un livre
  9. Si vous étiez un livre… La Comédie Humaine
  10. Si vous étiez personnage de fiction… Jane Eyre ou Miss Marple
  11. Si vous étiez un mot… Liberté
  12. Si vous étiez un film… All About Eve
  13. Si vous étiez une phrase de roman… « Avec l’amour maternel, la vie nous a fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais » (Romain Gary, La Promesse de l’aube)
  14. Si vous étiez un super pouvoir… guérir les gens
  15. Si vous étiez une créature légendaire / imaginaire… une hydre
  16. Si vous étiez une chanson… Sunny
  17. Si vous étiez un style de musique… le Soul, la musique de l’âme
  18. Si vous étiez instrument de musique… le chant et le piano
  19. Si vous étiez un art… la sculpture
  20. Si vous étiez une œuvre… la valse
  21. Si vous étiez une découverte médicale… comment guérir le chagrin
  22. Si vous étiez un personnage célèbre… Colette
  23. Si vous étiez un héros… le Dieu Eros
  24. Si vous étiez un péché mignon… le chocolat noir
  25. Si vous étiez une odeur, un parfum… le parfum de la fleur d’oranger
  26. Si vous étiez une fête… la fête du printemps
  27. Si vous étiez un bruit… un chant d’hirondelle et le bruit de l’eau qui coule d’une fontaine
  28. Si vous étiez une devise ou une citation… Ta différence, cultive-la, c’est toi
  29. Si vous étiez une mauvaise habitude… m’exposer au soleil
  30. Si vous étiez une qualité… l’empathie
  31. Si vous étiez une émotion… la joie
  32. Si vous étiez un plaisir… la caresse
  33. Si vous étiez un rêve… une source qui coule à ma fenêtre
  34. Si vous étiez une baguette magique, que feriez-vous ? Je réunirais à jamais ceux que j’aime, les morts comme les vivants

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