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« Témoigner procure du sens à sa propre existence et permet à d’autres d’en tirer avantage. »
Philippe Bataille, sociologue
Le répit, Henri de Rohan-Chabot en a fait son combat. Président de la Fondation France Répit, ce père de famille, ancien chef d’entreprise, propose des solutions de répit innovantes pour les aidants, comme la Maison de répit près de Lyon, ou la Métropole aidante. Une rencontre lumineuse, placée sous le signe de l’humanité et de l’espérance.
Chaîne Rose : Vous avez-vous-même été un papa aidant pour votre fille Jeanne, touchée par une tumeur cérébrale durant 4 ans, disparue en 2010. Ce chemin vous a conduit là où vous êtes aujourd’hui : c’est une forme de résilience ?
H R C : Comme pour beaucoup d’aidants, cette expérience a sans doute été la période la plus importante de ma vie car elle nous ramène à ce que nous sommes profondément : la relation entre deux personnes qui s’aiment. L’irruption de la maladie provoque d’importants impacts, obligeant à repenser la vie familiale, sociale et professionnelle : une vie nouvelle se met en place. Une vie à la fois choisie et subie. On est unis, souvent en famille, autour de la personne que l’on accompagne : on n’a pas le choix. On a envie de lui donner le meilleur tout le temps : en cela, c’est un don de soi consenti. Prendre soin d’un proche, c’est à la fois naturel et surnaturel. On fait comme on peut, du mieux que l’on peut, en étant fort et fragile à la fois. Il faut tenir. Rester debout. Faire face. On est aidant mais pas seulement. On est aussi un papa ou une maman, un professionnel exerçant un métier, une personne ayant des activités culturelles et sportives… Mener tout cela de front est très difficile et peut vite devenir épuisant. Et ce d’autant plus que souvent, malheureusement, la situation d’aide se termine par le décès de la personne aidée. Commence alors une nouvelle séquence de vie d’abord marquée par le poids de l’absence. Reprendre une vie « normale » n’est pas vraiment possible. Cela appelle parfois des changements. De métier, de vie… L’expérience que l’on a vécue est féconde, porteuse de sens, et offre une forme de joie.
CR : Avec 11 millions d’aidants qui accompagnent leurs proches, les besoins de répit sont énormes. Mais qu’entend-on exactement par répit ?
HRC : C’est une question que l’on pose systématiquement en début d’année aux étudiants qui viennent suivre la formation à l’accompagnement créée par notre fondation. Le répit est un peudevenu un mot « valise ». Tout le monde en parle. Tout le monde veut en faire… Mais il ne faut pas le réduire à une pause momentanée, un temps de rupture avec le quotidien devenu trop éprouvant pour l’aidant et la personne accompagnée. C’est seulement le premier étage de la fusée. Il faut le voir comme un SOIN. Un soin de répit qui n’est pas seulement une parenthèse mais un accompagnement durable qui doit être encadré par des référentiels de pratiques évaluées. Là est le véritable enjeu, avec le repérage précoce des besoins de l’aidant et de la personne aidée par une équipe mobile, dans une démarche d’accompagnement. Il ne suffit pas de s’intéresser au patient. Il est nécessaire de s’intéresser aussi à l’écosystème qui l’entoure.
CR : Où en est la politique de soins de répit en France ? Quelles sont les mesures phares ?
HRC : On est passé de l’invisibilité à la visibilité. Après avoir accusé un gros retard, nous sommes plutôt en pointe dans un bon nombre de domaines. Comme le montrent les acquis de ces dix dernières années. Depuis le premier plan cancer, il y a eu une véritable prise de conscience des difficultés des aidants par l’Etat, avec la mise en place en 2019 de la stratégie nationale de mobilisation et de soutien « Agir pour les aidants 2020-2022 ». C’est une avancée remarquable. Qui vient s’ajouter à la politique de soutien aux aidants développée par les collectivités territoriales et les actions de terrain des associations, des parents, des familles concernées dans tous les coins de France. Il y a une vitalité, un bouillonnement d’idées : une vraie politique de répit est en train d’émerger !
CR : Vous n’avez pas attendu cette Stratégie nationale pour créer votre maison de répit en 2018. Comment fonctionne-t-elle ?
Dans un premier temps, à la demande des aidants, une « équipe mobile de répit » se déplace au domicile pour évaluer la situation et proposer la solution la plus adéquate. Pluridisciplinaire, cette équipe est composée de deux médecins, une infirmière, deux psychologues et une assistante sociale. Parmi les solutions envisagées, selon le degré d’épuisement des aidants, on peut proposer un temps de répit à domicile, le « relayage ». Dans ce cas, un aidant professionnel vient remplacer l’aidant à domicile pour quelques heures ou quelques jours. Cela peut être également la participation à un groupe de parole ou à une psychothérapie ou encore un séjour dans notre maison de répit pour les soulager temporairement dans leur vie quotidienne. Située dans un parc arboré sur les hauteurs de Lyon à Tassin-la-Demi-Lune, la maison, médicalisée, accueille ainsi des familles, malade et aidant, ami… Selon leurs envies, ils peuvent être logés dans la chambre du résident ou dans une chambre séparée. Il y a également un appartement familial à disposition. Ils disposent d’un crédit-temps de 30 jours de répit par an, à utiliser comme ils le souhaitent (une journée, un week-end, une semaine ou plus). Le reste à charge, de 20 € par jour, peut être pris en charge par certaines mutuelles. Dans cette maison, les soignants assurent une surveillance et la continuité des soins 24 h sur 24, entourés par des bénévoles qui veillent au bien-être de chaque résident. En plus d’un soutien psychologique et social, des activités de bien-être sont proposées, comme le spa, la sophrologie ou encore des activités physiques douces et adaptées. Notre désir est de faire en sorte que les résidents se sentent « comme à la maison » et soient chouchoutés.
CR : Vous avez également initié le projet de « Métropole aidante » à Lyon. Quels sont ses objectifs ? Peut-on espérer en voir apparaître dans d’autres régions ?
Je l’espère sincèrement ! L’objectif de Métropole aidante est de proposer une offre territoriale structurée, labellisée et facilement accessible aux aidants, dans un même dispositif. Car la difficulté pour les aidants c’est d’accéder à toutes les propositions de soutien existantes. D’abord parce qu’ils sont essentiellement centrés sur l’aide à leur proche fragilisé, mais aussi parce que les dispositifs sont très nombreux (pas moins de 350 acteurs et 150 propositions à Lyon), très éparpillés et peu lisibles (associations de familles et de patients, institutions publiques, organismes de retraite et prévoyance, mutuelles, entreprises ou encore établissements et service médico-sociaux et sanitaires). Résultat, les offres de répit ou d‘accompagnement sont peu mobilisées alors même qu’elles pourraient apporter un réel soutien aux familles confrontées à ces prises en charge lourdes et parfois épuisantes. Unique en France, ce dispositif permet de trouver rapidement des solutions de soutien grâce à une cartographie de l’ensemble des offres des acteurs et un ensemble d’informations et de documentation disponibles dans un lieu d’accueil à Lyon et via une plateforme téléphonique (04 72 69 15 28).
CR : Pour le moment, ces dispositifs ne concernent que la région lyonnaise. Quels sont vos projets ?
HRC : Une autre maison de répit devrait ouvrir prochainement à Boulogne-Billancourt. Notre objectif à cinq ans est de créer 11 maisons supplémentaires, pour couvrir tout le territoire. Pour développer la connaissance autour répit, nous aimerions créer un Centre national de référence. Et nous espérons voir d’autres Métropoles aidantes émerger prochainement. Pour finir, plus qu’un statut d’aidant qui risquerait de nous enfermer dans ce seul rôle, j’aimerais également voir se développer un droit au répit financé. Une adaptation du temps de travail, l’augmentation de la durée du congé du proche aidant et la possibilité pour tous de profiter d’un temps de répit dans des lieux de soins et d’accompagnement structurés, répondant à un cahier des charges précis. Il faut vraiment tout mettre en œuvre pour préserver la dimension positive de l’aide. Il y a dans ce lien avec un proche que l’on aime quelque chose d’accomplissant et de très beau.
Propos recueillis par Céline Dufranc pour Chaîne Rose
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