« L’auto-palpation est un geste qui peut nous sauver la vie »

(T)étonnante ! C’est vraiment le mot qui nous vient à l’esprit lorsque l’on découvre l’association Jeune & Rose. Embarquement immédiat avec Ely Cegalerba, sa présidente.

Créée en avril 2017, Jeune & Rose est née de la rencontre de deux jeunes femmes, Christelle et Mélanie, dans les couloirs de l’hôpital à Bordeaux alors qu’elles étaient toutes les deux en pleine lutte contre un cancer du sein. À respectivement 32 et 31 ans, ces jeunes mamans ont fait face à la maladie avec beaucoup de questions et d’inquiétudes liées à leur situation sociale et familiale. Aujourd’hui, de nombreuses bénévoles, patientes ou anciennes patientes, ont rejoint les rangs.Dans ce réseau national, ces patientes s’entraident, partagent et relaient les messages de prévention, notamment grâce aux ateliers « Pouet-Pouet ». Car dans la valise des ambassadrices Jeune & Rose, on trouve tout le matériel pour sensibiliser au cancer du sein. Objectif ? Connaître dès le plus jeune âge son corps, et les gestes qui peuvent permettre de détecter la maladie. 

Pouvez-vous nous raconter ce qui vous a conduit à rejoindre l’association ?

A 40 ans, j’ai été diagnostiquée d’un cancer du sein, en même temps que ma soeur de 33 ans. J’avais des antécédents familiaux et un suivi assez régulier mais malgré tout, un cancer s’est développé avec une atteinte ganglionnaire. Lors de mon premier rendez-vous, mon oncologue a écrit le nom de Jeune & Rose sur un post-it, me conseillant de les appeler car elles pouvaient être d’un grand soutien. Et en effet, cela a été un refuge dans mon parcours. J’ai découvert ensuite les autres missions de l’association, notamment le côté prévention, et j’ai eu envie de donner de mon énergie pour participer à ces missions, d’abord comme bénévole, puis, depuis cette année, en tant que présidente.

Quelles sont les particularités de Jeune & Rose ?

La première particularité de l’association est le public auquel on s’adresse et les problématiques que l’on souhaite mettre en lumière. Nous accompagnons les patientes touchées par un cancer du sein entre 20 et 40 ans, en leur créant des espaces et des temps dédiés, au cours desquels elles peuvent se rencontrer, s’entraider et échanger entre elles sur ce qu’elles traversent. De plus, on aborde des problématiques bien spécifiques à cette tranche d’âge.

En effet, comme on le dit souvent chez Jeune & Rose, lorsque l’on est touchée par un cancer du sein à 20, 30, 40 ans on a le même problème que toutes les femmes touchées par un cancer du sein mais pas les mêmes problématiques !

Comment parler du cancer à ses enfants ? Comment gérer une vie professionnelle en plein boom ou qui vient tout juste de débuter et que le cancer vient chambouler ? Comment avoir un enfant après un cancer ? Comment gérer le potentiel deuil de grossesse ? Etc. On aborde tous ces sujets lors des rencontres thématiques. Autre particularité, nous nous adressons aussi à un public jeune lors de nos actions de prévention, souvent oublié des discours de prévention autour du cancer du sein. L’objectif de notre projet de sensibilisation Télététon est d’aller à leur rencontre pour échanger sur le cancer du sein et leur apprendre les gestes d’auto-examen mammaire. On se rend dans des lycées, des missions locales, des facultés ou encore des structures accompagnant des femmes éloignées du système de santé. 

Dernière particularité, le ton de l’association ! J’ai tout de suite aimé la manière dont Jeune & Rose apporte de l’humour et de la solidarité dans cette tempête qui nous tombe dessus. Pendant mes chimios, quand je n’avais ni la force ni l’envie de prendre ma voiture, j’ai participé à des ateliers en visio (socio-esthétique, discussions sur génétique et cancers, parentalité, ateliers d’écriture…). Être entre femmes jeunes permet d’échanger sur les problématiques particulières que nous partageons.

Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?

  • Avoir des enfants en bas âge et continuer de s’en occuper pendant les traitements lourds et contraignants,
  • Les tumeurs souvent plus agressives et les traitements plus lourds (on passe rarement à côté de la chimio),
  • Les parcours de diagnostic parfois compliqués et les retards diagnostiques, avec cette phrase qu’on a toutes entendu : « un cancer du sein ? non, vous êtes trop jeune »,
  • La ménopause induite par les médicaments et ses effets secondaires, quand on a 25, 30, 40 ans,
  • Les questions de fertilité, de préservation parfois possible, l’infertilité induite,
  • La vie professionnelle débutante, le retour à l’emploi…

Quelles sont les principales missions de Jeune & Rose ?

Au sein du collectif, nous avons trois grandes missions :

  • Accompagner les jeunes patientes via des rencontres autour de pink-nique, de balade, de randonnée, etc ainsi que des rencontres thématiques en visio comme en présentiel, permettant d’échanger avec une professionnelle de sujets tels que l’alimentation pendant les traitements, la sexualité, la parentalité, les soins de la peau, etc. 
  • Sensibiliser : avec Télététon, nous sensibilisons le jeune public ainsi que le public en situation de vulnérabilité en santé au cancer du sein et au geste de l’auto-examen mammaire. Pour cela, nous proposons des ateliers co-animés par des patientes, équipés de bustes en silicone dans lesquels sont représentés les symptômes du cancer du sein. Nous utilisons également les arts, via des ateliers artistiques mêlant arts plastiques et prévention. Et enfin, nous sensibilisons en festivitété en organisant chaque octobre un festival à Blonde Venus, à Bordeaux. 
  • Échanger aux côtés des acteurs de santé : dans le cadre du projet Alerte Rose, nous échangeons directement auprès de professionnels de santé en étude ou en exercice. Notre mission est de les sensibiliser aux problématiques des jeunes femmes touchées par un cancer du sein afin d’améliorer leur prise en charge. 

Concrètement, où vous trouve-t-on ?

Pour le moment, nous n’avons pas de locaux. Nous organisons des rencontres dans toutes les régions de France, dans des endroits informels (café, restaurant, etc) ainsi qu’en visio. Nous partageons toutes les informations autour de ces rencontres sur notre site internet et sur nos réseaux sociaux @jeuneetrose !

Quels sont les projets, actions dont vous êtes les plus fières ?

Nous sommes particulièrement fières lorsque, à la fin des ateliers Pouet-Pouet, les lycéens viennent nous remercier de ce qu’ils ont appris, pour l’atelier qu’ils viennent de faire, mais aussi et surtout, qu’ils et elles vont commencer à se palper et à être plus bienveillants envers leur corps. Sentir un tel impact de nos messages est toujours très touchant ! Même sentiment lorsqu’une patiente ressort d’une rencontre tétonnante apaisée, rassurée et surtout entourée ! Les retours des bénéficiaires sur nos projets et nos actions sont ce qui nous rend les plus fières !

De quoi « rêvez-vous » pour améliorer encore la prise en charge et l’accompagnement des patientes ?

Dans le cadre de notre projet Les Tétonnantes, nous souhaiterions développer davantage les rencontres thématiques en visio. Nous allons programmer des rencontres autour de la parentalité et notamment autour d’une question qui tracasse de nombreuses jeunes patientes : « comment parler du cancer aux jeunes enfants ? ». Dans le cadre de cette rencontre, un colis contenant des livres destinés aux enfants de moins de 10 ans leur sera envoyé. Nous prévoyons également d’organiser des temps mère/enfant pour les jeunes femmes en traitement afin qu’elles puissent se reconnecter avec leurs enfants et les soutenir dans leur parentalité. Et enfin, des visios autour du deuil de la maternité seront proposés aux jeunes patientes qui ont dû, à cause du cancer, mettre un terme à leur projet de parentalité. Elles seront co-animées par des professionnels de santé et des psychologues. Nous organisons également le Pouet-Pouet tour dans le Sud-Ouest, Angoulême en juin, le sud de la Gironde en septembre… en espérant qu’il se balade un jour dans toute la France.

Quels sont les messages clés que vous avez envie de transmettre aux adolescentes (et/ou à leurs mamans ?)

Lors de nos ateliers, nous tentons de partager des messages de bienveillance envers soi, son corps et sa poitrine. Nous sommes conscientes que le geste d’auto-examen peut parfois être stressant, c’est donc pour cela qu’il est important de l’appréhender comme un geste bien-être, présent pour vérifier que la poitrine est en bonne santé ! Se palper régulièrement permet de bien connaître sa poitrine et de réagir vite si jamais le moindre changement est constaté, c’est un geste qui peut sauver une vie ! 

Et aux soignants ?

Au sein de l’association, trop de jeunes femmes ont entendu la phrase « vous êtes trop jeunes pour avoir un cancer ». Rappelons aux soignants que les jeunes femmes peuvent aussi être touchées par un cancer du sein : elles sont 12 000 à être diagnostiquées chaque année. Il est donc indispensable de les écouter et de bien les orienter si elles ont senti quelque chose d’anormal dans leur poitrine. Les médecins sont experts de la maladie, les patientes sont expertes de leur corps.

Que pensez-vous des réseaux sociaux, communautés de patients … ?

Le témoignage et la transmission sont primordiaux, autant dans la prévention que dans l’accompagnement ! Auprès des femmes concernées, témoigner de son parcours permet d’aider, de rassurer, de briser certains tabous, d’aborder des sujets parfois tus lors des rendez-vous médicaux, c’est une mine d’information officieuse. C’est en cela que les communautés de patients et la manière dont les réseaux sociaux sont saisis par certaines personnes pour raconter leurs histoires, sont nécessaires ! Nous le constatons lors de nos rencontres tétonnantes, les sujets abordés sont si variés, elles échangent des conseils, se rassurent et surtout, se sentent moins seules ! Auprès du grand public, le témoignage donne une dimension nettement plus importante aux messages de prévention. Donner la parole aux personnes concernées reste un moyen essentiel pour mettre la lumière sur des sujets et des problématiques. Lors de nos Ateliers Pouet-Pouet, toujours co-animés par soeurs de combat, nous remarquons que les participants posent davantage de questions, montrent de l’intérêt !

S’engager dans une association comme la vôtre, est-ce une une sorte de résilience pour vous ? 

C’est complètement une forme de résilience. En utilisant nos expériences individuelles dans un message positif de prévention collective, nous donnons un sens à l’épreuve que nous avons traversée.

Propos recueillis par Céline DUFRANC