Charlotte. 37 ans.

Tout a commencé le soir du 27 mars dernier (on n’oublie jamais cette date-là j’imagine, celle où tout bascule littéralement). Moment du déshabillage, je glisse ma main sur le côté de mon sein gauche en mettant ma chemise de nuit et je discerne et palpe une grosseur interne de la taille d’une bille. Frayeur ! Je comprends de suite. Tout du moins je pense au pire immédiatement. Nuit blanche à pleurer. Et à partir de là tout s’enchaîne.

Rdv médecin, mammographie immédiate, échographie, biopsie, attente du résultat et le couperet tombe au matin du 24 avril : c’est un cancer du sein, triple négatif. J’ai le souffle coupé.

Ma vie s’arrête-t’elle ici ? Ainsi ? La double peine quand on se renseigne un minimum sur la toile sur ce cancer rare, capricieux et multirécidiviste.

Mon monde s’écroule. Je me crois condamnée et pense à mon petit garçon de 4 ans. Grandira-t’il sans moi ? La vie va-t’elle nous séparer nous qui sommes inséparables ? C’est une torture rien que de l’imaginer et je ne parviens pas à regarder mon fils dans les yeux sans avoir les larmes qui montent aussitôt.

Puis s’en suit une période de transition difficile entre cette annonce qui est un véritable tsunami pour soi et l’entourage et l’annonce et début du protocole de soins. On est entraînée dans une spirale de rdv médicaux en gynécologie, oncologie, irm, pet scan, re biopsie et en attente de connaître réellement le stade du cancer et le pronostic. Le temps semble s’étaler, j’ai hâte de savoir et curieusement que les soins commencent enfin. Le temps est précieux et il faut agir vite.

Dans ma malchance, j’ai de la chance : le cancer est assez naissant, localisé, mais la tumeur principale de 16 mm n’est pas seule, elle est accompagnée de deux autres petites répliques à son bord, une vraie triplette ! Comme c’est comique les choses parfois.

C’est un cancer agressif. On ne me le cache aucunement, mais le corps médical m’assure une guérison pleine et à espérer durable. Mais le protocole est lourd. Double chimiothérapie combinée à l’immunothérapie sur 6 mois, chirurgie à définir selon les résultats de la recherche oncogénétique, radiothérapie et immunothérapie seule. Un vrai parcours de combattant. J’ai de suite le vertige en considérant l’ensemble du chemin à parcourir.

Difficile à digérer. C’est l’inconnu. C’est la perte de contrôle. Des milliers de questions et l’appréhension des traitements. C’est se confronter à soi, aux autres, au vide, à l’isolement que crée la maladie autour de soi. C’est la vie qui prend un nouveau tournant. Tout semble s’arrêter. On doit arrêter de travailler et tout mettre en pause. C’est aussi des problématiques supplémentaires qui s’ajoutent les unes aux autres comme à l’image d’un engrenage stoppé net causant une grande panne. Tous les rouages sont impactés.

Puis le 24 mai, après la pose périlleuse et douloureuse d’une chambre implantable sous la peau, j’arrive au matin dans le service ambulatoire et oncologie de l’hôpital pour ma première chimiothérapie. Je n’oublierai non plus jamais ce moment si particulier, la mort dans l’âme, marchant dans ce couloir au milieu de tant de miséreux aux crânes dénudés, aux teints blancs, tous ces malades du cancer, ce fléau qui touche tant et tant de vies. Je réalise que oui j’en fais partie et que ce jour-là, armée de toutes mes prières et celles des miens, je rentre en guerre. Et je suis je crois bien la cadette du service.

L’accueil est heureusement chaleureux, l’équipe exceptionnelle. Celle-ci m’accompagne, m’enrobe de bienveillance, de son professionnalisme rassurant, de son humanité sans pareille, de conseils multiples et leur naturel dédramatise la situation.

Choc allergique lors de cette première cure. Décidément le parcours est semé d’embûches d’emblée.

Entre la 3ème et 4ème cure, je prends le taureau par les cornes et anticipe l’alopécie annoncée par les médecins, effet incontournable de la chimiothérapie : je franchis les portes du salon de coiffure et un carré sage remplace ma longue et indomptable chevelure dont j’étais si fière. Entre la 4 ème et 5ème cure (donc à une semaine d’intervalle de la première coupe) je m’y étais préparée mais vraisemblablement pas assez, mes cheveux entament leur chute, rapide. En une semaine c’est une descente fulgurante en enfer. C’est vraiment impressionnant et traumatisant.

Je finis par accepter que mon compagnon mette à nu mon crâne et tout mon être meurtri par cet affront inacceptable. C’est une étape vraiment difficile qui rend le combat encore plus lourd à mener quand on est privée de son intégrité physique.

Mais avec quelques subterfuges (prothèses ou foulards) on parvient à continuer  et de toutes les manières on n’a pas d’autres choix et ce n’est pas possible autrement. On s’adapte en permanence comme le ferait un caméléon s’adaptant à un paysage changeant. Le moral change lui aussi souvent de couleurs mais ça prend du temps je le crois de réaliser complètement ce que l’on vit là.

Je suis rendue à ma 7ème cure de chimiothérapie et 3ème d’immunothérapie. Je supporte plutôt bien les traitements, mon état général n’est pas altéré et je n’ai que peu d’effets secondaires jusque-là si ce n’est des saignements de nez répétés, de légers maux d’estomac et un sommeil perturbé.

L’enjeu maintenant ce sont les résultats de la recherche oncogénétique. J’ai fait les tests la semaine passée, il me faut attendre 3 mois pour avoir les résultats qui seront déterminants pour la prise en charge chirurgicale. Si les résultats démontrent un rôle génétique dans l’apparition de mon cancer, ce sera une double ablation voire même en prime le retrait des ovaires afin d’éviter au maximum la récidive de ce cancer féminin.

La pression est bel et bien là, ça fait beaucoup à encaisser et l’idée d’une telle intervention me terrorise.

Je décide d’avancer pas à pas sans trop anticiper les étapes à venir pour plus de sérénité.

Mais ce qui dans cette histoire est le plus terrible c’est d’avoir perdu à tout jamais mon insouciance, c’est de me dire qu’à tout jamais je vivrai avec une menace au-dessus de ma tête, la peur que le cancer revienne de manière sournoise là où on ne l’attend pas, ressentir de façon constante que le temps m’est compté.

Peut-être que là aussi c’est une invitation à avancer pas à pas, jour après jour, sans penser au lendemain. Aller à l’essentiel : le moment présent.